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ANNEXE II

Ventilation des œuvres de Cezanne
en périodes successives

 

Dès lors que l’on veut étudier l’évolution de tel ou tel aspect de l’œuvre de Cezanne, on a pu constater au chapitre précédent qu’il est impossible de le faire en choisissant l’année pour unité de temps si l’on s’en tient aux données des catalogues – ce qui, rappelons-le, en l’état actuel de la recherche, est absolument incontournable. Nous sommes donc contraints de le faire à partir du découpage de la carrière artistique de Cezanne en périodes, celles-ci étant fondées sur les regroupements les plus cohérents possibles des intervalles proposés par les catalogues, compatibles avec ce que nous savons par ailleurs de la biographie de l’artiste.

Cette périodisation effectuée, la plupart des œuvres trouvent naturellement leur place dans telle ou telle période incluant les intervalles où les catalogues les situent. Il reste cependant un certain nombre d’intervalles des catalogues situés à cheval sur la frontière de deux périodes successives, et il faut alors arbitrer de quel côté de la frontière il convient de situer les œuvres appartenant à ces intervalles, en tenant compte des données biographiques ou techniques connues, éventuellement du style de ces œuvres, mais aussi des probabilités dégagées au chapitre I dans l’étude du système de datation des catalogues. L’influence de ce type de choix sur la fiabilité du corpus chronologique des œuvres ainsi constitué doit enfin être évaluée pour légitimer toute étude ultérieure dont l’objet porterait en partie ou en totalité sur les évolutions perceptibles ou à découvrir dans l’œuvre de Cezanne.

 

I – PÉRIODISATION DE L’OEUVRE CEZANNIENNE

Divers modèles de découpage en grandes périodes de l’œuvre de Cezanne ont été proposés, sans qu’aucun emporte une adhésion unanime quant aux frontières précises à leur affecter. Pour notre propos et compte tenu de l’imprécision des catalogues que nous avons mise en évidence, il est nécessaire de limiter ce nombre de périodes puisqu’un découpage trop fin en unités de temps trop précises et trop nombreuses nous conduirait à multiplier les arbitrages évoqués ci-dessus, en y faisant entrer « au chausse-pied » les œuvres problématiques, donc à multiplier les risques d’erreurs. D’ailleurs, cette limitation des périodes à définir n’est pas forcément un mal si l’on veut saisir des tendances générales crédibles plutôt que de se noyer dans des analyses à la précision incohérente avec celle de la chronologie proposée par les catalogues.

Une périodisation utile doit donc comporter des unités relativement étendues et bien adaptées aux systèmes de datation de nos catalogues. Après examen de plusieurs systèmes de périodisation traditionnels, il nous est apparu que celui proposé par Denis Coutagne sur le site de la société Paul Cezanne[1] Biographie de Cezanne par Denis Coutagne, qui a le mérite d’un certain classicisme, semblait bien convenir à notre propos :

  • « 1839-1861 : une enfance et adolescence aixoises » : cette période s’ouvre avec les premiers cours suivis par Cezanne à l’école de dessin d’Aix en 1856 et se clôt au moment de son départ pour Paris fin avril 1861 (durée : 6 ans).
  • « 1861-1870 : la découverte et l’appropriation de Paris, une volonté de conquête (avec repli à l’Estaque en 1870-71) » : cette période, souvent appelée « période couillarde », commence avec le premier séjour à Paris et se clôt, après le retour en Provence pendant la guerre et l’épisode de la Commune, par une installation à Paris avec Hortense Fiquet à l’automne 1871. En fait, nous prolongeons un peu cette période jusqu’en août 1872, où Cezanne commence à peindre avec Pissarro à Pontoise, inaugurant ainsi la période communément appelée « impressionniste » (durée : 11 ans et 4 mois).
  • « 1872 – 1882 : Cezanne au temps de l’Impressionnisme » : cette période s’étend jusqu’en septembre 1882, date de son retour en Provence (durée : 10 ans).
  • « 1882-1888 : une grande période provençale » : cette période cruciale, par laquelle débute la seconde moitié de la carrière du peintre, couvre une partie de la période plus large souvent qualifiée de « constructive » (1883-1895), mais nous préférons privilégier l’unité de lieu très caractéristique de ce moment, et pleine de bouleversements importants dans la vie du peintre, pour définir nos limites de période, ce qui facilitera par ailleurs le choix des œuvres à y affecter (durée : 5 ans et 4 mois entre octobre 1882 et janvier 1888).
  • « 1888 – 1899 : les années de silence et de gloire entre Aix et Paris » : du retour en région parisienne de février 1888 au retour pratiquement définitif en Provence en septembre 1899 avec la vente du Jas de Bouffan (durée : 11 ans et demi).
  • « 1899 -1906 : les dernières années, la Provence définitive » : unité de lieu et de style à nouveau pour cette ultime période (durée : 7 ans).

Il s’agit maintenant de vérifier si cette périodisation nous permet effectivement de réaliser les arbitrages évoqués plus haut dans l’affectation des œuvres placées par les catalogues dans des intervalles à cheval sur deux périodes, avec un minimum d’ambiguïtés.

 

II – AFFECTATION DE L’ENSEMBLE DES OEUVRES AUX SIX PÉRIODES DÉFINIES

Une première remarque : nous conservons évidemment au sein d’une période donnée toutes les œuvres placées par nos catalogues dans des intervalles strictement inclus dans cette période. Par exemple, toutes les œuvres situées dans des intervalles comme 1873-78, 1874, 1874-75, 1875-81, etc. s’inscrivent évidemment dans la période 1872-1882.

Le problème se pose donc pour toutes les œuvres situées dans des intervalles chevauchant les limites de deux périodes successives : quelles œuvres de l’intervalle 1881-1884 faut-il affecter respectivement à la période 1872-82 et à la période 1882-1888 ?

Pour cela, on commence par repérer tous les intervalles potentiellement à cheval sur deux périodes, et le nombre d’œuvres concernées par les arbitrages à rendre, de façon à évaluer leur importance par rapport à toutes les œuvres qui ne posent pas de problème d’affectation à une période. En effet, si le nombre d’œuvres concernées est très important, le fait que nos choix d’affectation peuvent toujours être contestés pèserait alors d’un poids excessif sur les conclusions relatives à l’évolution de Cezanne que nous tirerons de l’analyse du corpus de son œuvre. Le tableau suivant précise les choses :

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Fig. 1. Oeuvres à ventiler dans les intervalles à cheval sur deux périodes

La marge d’erreur maximale possible pour les toiles est de 12 %, et pour les aquarelles et les dessins d’environ 20 %, ce qui n’est pas négligeable.

Fort heureusement, les erreurs éventuelles sont beaucoup moins nombreuses, parce que certaines des œuvres concernées se placent facilement et avec assez peu d’ambiguïté dans l’une ou l’autre période. Par exemple, pour les toiles situées en 1882, on distingue assez aisément les paysages normands, antérieurs à septembre 1882 qui marque la limite des deux périodes 1872-82 et 1882-88, des toiles de l’Estaque postérieures à cette date, celle du retour de Cezanne en Provence. Ou encore, dès qu’un dessin porte sur une copie du Louvre, il est fort probable qu’il a été réalisé sur place, ce qui implique la présence de Cezanne à Paris, critère qui peut servir à placer ce dessin en deçà de la frontière qui sépare sa localisation à Paris de son retour en Provence, comme en 1882.

On ne peut donner ici le détail du raisonnement pour chacune des 510 œuvres concernées (12 % du total des œuvres du corpus). Le tableau ci-dessous reprend l’ensemble des choix effectués en distinguant ceux qui paraissent certains ou peu douteux (fondés sur des éléments biographiques ou la constitution de séries) de ceux qui peuvent être remis en cause (parce qu’effectués pour des raisons purement stylistiques), avec l’indication de la référence de la plupart des œuvres si l’on veut tout de même avoir une idée des choix effectués.

Dans ce tableau figurent en orange les intervalles dans lesquels des œuvres ont été ventilées de part et d’autre de la frontière, et en vert ceux dont les œuvres sont placées d’un seul côté. Les références en gras sont celles qui posent problème.

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Fig. 2. Choix de ventilation des oeuvres dans les intervalles à cheval sur deux périodes

La marge d’erreur réelle maximale de notre classement devient ainsi tout à fait acceptable : 3 % pour les toiles et 10 % pour les aquarelles et dessins. On peut donc considérer que les tendances d’évolution que nous pourrons tirer de nos analyses du corpus des œuvres connues de Cezanne ne seront pas significativement influencées par les ambiguïtés que nous n’avons pu lever.

 

CONCLUSION

Il nous semble donc qu’à la suite des observations et des choix précédents, nous pouvons considérer que nous disposons désormais d’une base suffisamment fiable pour nous livrer à des analyses crédibles du corpus des œuvres connues de Cezanne, une fois celles-ci ventilées selon les périodes choisies.

Bien entendu tout regard critique sur nos choix sera le bienvenu, en vue d’améliorer encore la constitution de notre corpus en autorisant à terme sa périodisation en unités de temps plus fines, à mesure que la recherche sur la datation des œuvres progressera en précision. Idéalement, il faudra bien qu’un jour un comité d’experts accepte de consacrer ses forces à une révision systématique et raisonnée de la chronologie des trois catalogues à la lumière des recherches les plus récentes, de façon à légitimer encore davantage toute conclusion tirée de l’exploration statistique du corpus des œuvres de Cezanne[2]Un premier sujet devrait porter sur l’harmonisation des dates proposées par Chappuis avec celles de Rewald concernant certaines séries comme L’Après-midi à NaplesLa Tentation de Saint Antoine, etc. où l’on peut observer actuellement dans nos catalogues des incohérences manifestes..

Signalons cependant qu’à titre de précaution, nous avons aussi testé une périodisation arbitraire fondée sur un découpage en dizaines d’année : 1860-70,1870-80, etc. Or nous avons a pu constater que malgré les différences chiffrées résultant de ce nouveau découpage, les tendances d’évolution que nous allons maintenant dégager se sont maintenues très largement inchangées. Le profil des courbes d’évolution présentées au chapitre I est notamment resté pratiquement identique. Dès lors que nous partons d’un découpage limité à 5 ou 6 périodes, il semble donc que le détail des frontières entre les périodes n’influence que marginalement les conclusions tirées des études statistiques qui vont suivre, ce qui, selon nous, leur confère une crédibilité accrue.

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Références

Références
1  Biographie de Cezanne par Denis Coutagne
2 Un premier sujet devrait porter sur l’harmonisation des dates proposées par Chappuis avec celles de Rewald concernant certaines séries comme L’Après-midi à NaplesLa Tentation de Saint Antoine, etc. où l’on peut observer actuellement dans nos catalogues des incohérences manifestes.