ANNEXE III – LES COPIES DE LA SCULPTURE ANTIQUE

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 Nous avons vu qu’il faut attendre le Ve siècle pour que se pose la question des copies de sculptures antiques par Cezanne. On se trouve alors en présence de plusieurs cas possibles concernant les œuvres copiées, car il peut s’agir :

  • d’œuvres originales. Plus on s’éloigne dans le temps, moins on en trouve naturellement au Louvre : les œuvres originales classiques (5e et 4e siècles) sont très rares, les œuvres originales de l’époque hellénistique (fin du 4esiècle à à la bataille d’Actium en 31 avant Jésus Christ) un peu moins. Les œuvres de l’époque impériale sont plus fréquentes : cet élément de rareté relative doit évidemment jouer dans le fait que les seules œuvres originales copiées par Cezanne sont de cette dernière période, abstraction faite de toute question de goût ;
  • de copies d’œuvres plus anciennes. Celles-ci peuvent être de simples reproductions des originaux ; mais elles peuvent aussi introduire, en fonction du style prédominant à l’époque de la copie, des variations plus ou moins importantes de la forme initiale, qui fonctionne comme type de référence. C’est la situation la plus courante au Louvre, et là aussi cet élément statistique influe naturellement sur le fait que la majorité des copies de Cezanne relève de ce cas ;
  • de véritables réinterprétations d’œuvres anciennes : on parle d’influence du type X sur l’œuvre en question, ce qui interdit de la considérer comme une œuvre absolument originale, bien qu’elle témoigne d’un véritable talent créatif de la part du sculpteur. On s’accorde généralement pour considérer qu’on est en présence des œuvres les plus réussies des collections du Louvre (Vénus de Milo, Victoire de Samothrace…). Certaines, mais pas toutes, donnent lieu à copies de la part de Cezanne.

Ainsi, la date de création d’une œuvre ne signifie donc pas qu’elle se rattache automatiquement à l’esthétique de l’époque en question : une copie datant de l’époque hellénistique peut être vue soit comme un témoignage de l’art hellénistique, soit comme un témoignage de l’art classique selon le degré plus ou moins important de liberté pris par rapport au type initial.

Pour tenter de situer les copies de Cezanne par rapport à un courant déterminé, nous allons les considérer en fonction de la chronologie des écoles successives, en situant à chaque fois les œuvres copiées par rapport aux principales autres œuvres de la même école présentes au Louvre et non copiées. Pour cela, nous avons établi une liste d’une centaine de sculptures du Louvre considérées comme majeures par l’ensemble des critiques du XIXe siècle[1]Cette liste a été établie à partir des auteurs répertoriés à la fin de cette annexe.. Une vingtaine de ces œuvres ont été copiées par Cezanne[1].

I — Le premier classicisme ou classicisme parthénonien (450-430)

Le siècle de Périclès voit la sculpture rompre avec la frontalité des œuvres des périodes antérieures et le développement du contrapposto (apparu à l’époque sévère) pour animer la représentation du corps humain désormais codifiée dans le premier canon de Polyclète. Ce modèle perdurera comme référence durant toute l’Antiquité.

Dans notre liste d’environ 100 chefs d’œuvre du Louvre, 18 appartiennent à cette période.

On trouve d’abord six fragments (dont deux têtes originales) que Cezanne ne copie pas :

Fig.1 à 6 — Classicisme parthénonien.

La plus ancienne référence à une statue antique classique au Louvre est l’Apollon de Kassel, plus proche du style sévère que du style polyclétéen qui développera le contrapposto à peine esquissé ici. C’est donc la sculpture la plus ancienne que l’on trouve représentée dans les copies de Cezanne :

Fig. 7 à 9 — Classicisme parthénonien.

De même, le fameux Orateur romain que copie Cezanne renvoie au type de l’Hermès Ludovisi de Phidias, où le mouvement du corps que va développer Polyclète s’esquisse avec un déhanchement plus poussé et le bras levé :

Fig. 10 à 12 — Classicisme parthénonien.

La torsion des corps s’accentue encore chez Polyclète et ses épigones, comme Alcamène, élève de Phidias, dans l’Arès Borghèse, une œuvre particulièrement copiée par Cezanne :

Fig. 13 à 15 — Classicisme parthénonien.

On peut donc constater que Cezanne s’est attaché à trois œuvres majeures du premier classicisme, dont la rigueur a dû le séduire. Elles ont donné lieu à 14 copies, ce qui témoigne d’un intérêt certain.

II — Le classicisme maniériste (430-370)

Chez Alcamène s’exprime déjà la nouvelle recherche de sensualité des attitudes symbolisée par le drapé mouillé (cf. les Victoires de la balustrade du sanctuaire d’Athéna Nikè) et qui s’épanouit alors. Quelques œuvres au Louvre reflètent ces recherches, dont le fameux Discophore de Naucydès, copié par Cezanne :

Fig. 16 à 20 — Classicisme maniériste.

III — Le second classicisme (370-338)

L’interprétation se fait plus légère, plus expressive, avec des corps plus élancés aux équilibres plus complexes et une musculature moins marquée, selon le nouveau canon proposé par Lysippe. Avec Céphistodote et Praxitèle, le Louvre dispose de plusieurs statues de femmes vêtues où le jeu sur les drapés et les plis est dominant. Cezanne ne copie pas ces types :

Fig. 21 à 26 — Second classicisme.

Praxitèle introduit alors sa grande révolution avec l’Aphrodite de Cnide, représentée pour la première fois entièrement nue, forme appelée à une immense popularité et déclinée en de nombreux types. Le Louvre est assez pauvre dans ce domaine, trois exemplaires sont considérés comme remarquables. Cezanne copie le type du Capitole, dont le mouvement est particulièrement gracieux :

Fig. 27 à 29 — Second classicisme.

En revanche, il ne retient pas les types masculins de Praxitèle, donnant sa préférence à l’Apollon  lycien d’Euphranor, dont le déhanchement l’intéresse davantage :

Fig. 30 à 32 — Second classicisme.

Au contraire, sur les 7 principales pièces de Lysippe du Louvre, ce sont surtout les figures masculines qui attirent son attention, L’Hermès Richelieu d’abord, dont la stabilité a encore quelque chose de maniériste, et par contraste l’hermès rattachant sa sandale qui, comme le gladiateur combattant qu’il n’a pas recopié, rompt avec la position debout des personnages :

Fig. 36 à 38 — Second classicisme.

De Lysippe encore, il retient une pièce dont la sophistication annonce l’époque hellénistique (Silène portant Dionysos enfant), mais non le célèbre buste en Hermès d’Alexandre. Et enfin, de Léocharès, il n’échappe pas à l’attrait irrésistible dégagé par l’Artémis à la biche, une des sculptures emblématiques du Louvre :

Fig. 39 à 41 — Second classicisme.

On constate donc ici aussi que sur la vingtaine d’œuvres relatives au second classicisme, Cezanne en a recopié 6 (pour 11 copies).

IV — La période hellénistique (338- règne d’Auguste)

En rupture avec la recherche de beau idéal du classicisme, on désire maintenant plus de réalisme, des effets dramatiques, des gestes intenses, des positions nouvelles. Le Louvre possède un assortiment assez varié de sculptures de cette période (la plupart des copies romaines, comme pour les époques précédentes), ce qui rend difficile de faire un choix unanime, comme on le voit chez les divers auteurs consultés. Quoi qu’il en soit, sur les 23 exemplaires considérés comme parmi les plus intéressants, la moitié a été copiée par Cezanne. Ceci peut s’expliquer par le fait que les sculptures hellénistiques sont plus fréquentes que les autres, certes ; mais il faut bien reconnaître qu’il y trouve un répertoire de formes beaucoup plus varié que dans les périodes classiques, ce qui ne peut que lui plaire quand on se rappelle son goût pour le « mistral qui agite le marbre ». Noter que des deux chefs d’œuvre absolus de cette époque, Victoire de Samothrace et Vénus de Milo, il n’en a copié qu’un – peut-être parce que la position de la Victoire en haut de l’escalier Daru empêchait qu’on l’approche commodément, outre le passage certainement assez dense de visiteurs.

Voici donc ces 23 sculptures dans un ordre globalement chronologique, dont on appréciera l’extrême variété de types :

Fig. 42 à 64 — Période hellénistique.

V — La période impériale

On y trouve à la fois une volonté de réalisme accentué et de personnalisation des portraits, mais aussi une idéalisation de ceux-ci lorsqu’ils concernent l’empereur qui fait de ses portraits un instrument de propagande politique. La tendance classicisante est également souvent présente :

Fig. 71 à 79 — Période impériale.

Cezanne préfère copier le Bacchus Richelieu parmi les créations romaines dont l’inspiration renvoie davantage à la période hellénistique par la position des corps moins convenue :

Fig. 81 à 85 — Période impériale.

Le Louvre possède une quantité non négligeable de bustes de la période romaine, entre lesquels il est difficile d’en trouver qui font l’unanimité des critiques. Le choix qui suit est donc moins assuré que les précédents : 12 bustes, dont 7 copiés par Cezanne. Ce sont finalement bien les bustes qui l’attirent dans la sculpture romaine.

Fig. 86 à 97 — Période impériale.

La période romaine se traduit donc par 8 sujets copiés par Cezanne en 13 copies.

 

Conclusion

On constate que si l’on s’en réfère aux types de base plutôt qu’à la date de création des sculptures, Cezanne copie des sculptures de toutes les époques, sans qu’il apparaisse clairement une préférence marquée pour l’une d’entre elles : 10 sculptures classiques (pour 26 copies), 12 sculptures hellénistiques (pour 24 copies), 8 sculptures romaines (pour une douzaine de copies). On peut en déduire que sur le plan culturel, sa connaissance de la sculpture gréco-latine était étendue ; mais surtout, compte tenu du nombre de sculptures classiques recopiées, qu’il ne lui déplaisait pas de se référer à des types simples, rigoureusement construits, comme l’Apollon de Phidias ou l’Arès par exemple, dans lesquels le mistral ne souffle pas du tout… Si celui-ci commence à souffler, encore que fort modestement, dans les sculptures de la période hellénistique, c’est bien plutôt dans la sculpture baroque moderne qu’il cherchera les œuvres où la sophistication du mouvement devient centrale et lui offre des formes complexes à étudier.

Pour ce qui est de la sculpture gréco-romaine, il s’en tient globalement aux formes élémentaires consacrées par la tradition. Ce n’est que dans les copies tardives de bustes romains du Trocadéro que l’on peut ressentir son désir de ne sélectionner que des bustes non classiques, non lissés, exprimant fortement le caractère trempé des individus statufiés. Ces copies de bustes forment comme un domaine autonome de la copie de sculptures, tant sur le plan chronologique que sur le plan de leur traitement graphique, comme on le verra.

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Auteurs et ouvrages utilisés pour établir une liste d’environ 100 principales sculptures antiques du Louvre :

  • Legrand, Galerie des antiques, 1803
  • Notice des antiques du musée Napoléon, 1803
  • Visconti, Description des antiques du Musée royal, 1817
  • Clarac, Description du musée royal des antiques, 1830
  • Lenoir, Examen des nouvelles salles du Louvre, 1831
  • De Laborde, recueil incomplet de 1845
  • Clarac, Description des antiques du Musée national du Louvre, 1848, et Musée de sculpture antique et moderne, 5 tomes et 6 recueils de planches, 1841 à 1850
  • Viardot, Les merveilles de la sculpture, 1869 et 1872
  • Fröhner, Notice de la sculpture antique, éditions de 1869,1874,1875,1878,1886
  • Héron de Villefosse, Catalogue sommaire des marbres antiques (du Louvre)1896 et révision de 1918
  • Salomon Reinach : Répertoire de la statuaire antique et moderne (5 tomes en 7 volumes) 1906
  • Guides touristiques : Baedecker (1867, 1872, 1874, 1878, 1881, 1891, 1894, 1904), Joanne (1867, 1870-76, 1883, 1901, 1912), Pelloquet (Guide dans les musées du Louvre, 1856), Vitet (Le Louvre et le nouveau Louvre1882), O’Shea (Guide du visiteur du Louvre, 1892), Guide Marsay du Louvre 1897, Vitry (Guide sommaire du Louvre 1913), Mayer (The Louvre up to date, 1914 – en anglais).
  • Marquet de Vasselot, Répertoire des catalogues du musée du Louvre 1793-1926, 2e éd. 1927

 Ouvrages choisis car téléchargeables dans leur édition originale sur Gallica.

Références

Références
1 Cette liste a été établie à partir des auteurs répertoriés à la fin de cette annexe.