CHAPITRE VIII — 1861-1872 : LES COPIES DE DESSINS ET SCULPTURES DU LOUVRE

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Après les salles de peinture, ce chapitre complète l’ensemble des copies faites au Louvre durant cette décennie en suivant Cezanne dans les salles des dessins où il fait 9 copies et dans les trois musées de sculptures (o9 dessins et de 3 sculptures lui ont servi de modèle.

I – LES COPIES DE DESSINS DU LOUVRE

Au premier étage du Louvre, outre les musées de peinture, Cezanne a fréquenté également les salles des dessins et gravures, ainsi que la salle de chalcographie (au rez-de-chaussée), où il a pu acquérir certaines gravures qui l’ont accompagné toute sa vie.

Comment se présentaient les lieux ? On y accédait par le pavillon de l’Horloge et l’escalier Henri IV. Arrivé sur le palier, on tournait à gauche et on pénétrait dans la première salle de dessin (alors qu’en tournant à droite, passant le vestibule devant la salle des bronzes du musée Napoléon III, on entrait dans la salle dédiée à la collection La Caze à partir de 1870, qui ouvrait la série des salles du musée de peinture).

Fig. 1 — Plan des salles des dessins.

Le Louvre possédait à la fin de l’Empire une formidable collection de 36 000 dessins : c’est dire la richesse inépuisable de ce fonds pour les artistes et les amateurs ! Environ 2000 dessins étaient exposés dans les meubles vitrés des cabinets[1]« Chaque dessin exposé dans les galeries a été décollé et remonté uniformément, suivant un modèle qui varie en raison de l’effet particulier à chaque maître ou à chaque ouvrage, sans rien enlever à l’unité qui convient à une grande collection. » Nieuwerkerke, op. cit., dans 16 salles successives, dont 2 au second étage[2]Ces salles, appelées salles des Boîtes, contenaient dans des boîtes hermétiquement fermées des dessins parmi les plus précieux d’écoles diverses pouvant s’altérer à la lumière. Elles étaient ouvertes et visibles du 1er avril au ler octobre, le samedi, de 2 heures à 5 heures, et du ler octobre au ler avril le même jour, de 2 heures à 4 heures. Cf Nieuwerkerke, op. cit. : « Les dessins ont été classés dans les salles, autant que possible, par ordre chronologique. On a retiré de l’exposition ceux que la lumière menaçait d’anéantir ; cette mesure nous permettra de conserver ce qui reste encore d’un grand nombre d’ouvrages de ce genre, soit lavés ou exécutés à la plume, qui depuis plus de vingt ans se trouvaient en pleine lumière ou même en plein soleil. Quelques-uns des plus précieux sont maintenant placés dans des boîtes hermétiquement fermées, que l’on ouvre seulement un jour par semaine et pendant deux heures. Elles contiennent d’inestimables dessins de Raphaël, Léonard, Pérugin, Michel-Ange, Titien, Albert Durer, Jules Romain, Claude Lorrain, etc., dessins qui proviennent de l’ancienne collection ou d’acquisitions récentes. De cette façon tout danger de destruction a disparu. Les dessins se conservent et néanmoins le public peut en jouir sans difficulté. —Car ma première pensée sera toujours de concilier ces deux termes du problème d’une bonne direction : prendre le plus grand soin des ouvrages d’art, et faire aux amateurs, aux artistes, au grand public désireux de s’instruire, la part la plus large qu’il soit permis de leur faire sans péril pour les œuvres, objet de leur admiration et de leurs études. »

. Chaque salle était dédiée à une école, se succédant selon un ordre à peu près chronologique pour chaque école.

Pour s’y retrouver dans cette collection, un inventaire général descriptif composé d’énormes in-folio manuscrits en avait été dressé dès1868, consultables auprès du conservateur, M. Reiset, qui en avait aussi fait paraître un résumé imprimé en 1866 sous forme de notices par écoles, maintes fois rééditées. Pour les dessins et les tableaux les plus réputés, on pouvait aussi consulter et acquérir des reproductions en fac-similé sous forme de gravures disponibles au bureau de la chalcographie, situé au rez-de-chaussée, dans la cour du Louvre, à droite, en entrant par la rue de Rivoli sous le pavillon Marengo. La collection de gravures issues de planches de cuivres ou d’acier faisait l’objet d’un catalogue composé de plus de 4 600 numéros, constituant là aussi une collection admirable.

 

Il faut savoir que les salles de dessins n’attiraient que peu de visiteurs, certains guides touristiques se contentant de signaler leur existence avec très peu de détails, voire aucun[3]« Le peu de temps que nous donnons à notre promenade dans le Louvre, ne nous permet pas d’examiner en détail les œuvres si intéressantes accumulées dans cette longue suite de salles. » Pierre Marcy, Guide populaire du Louvre, Paris, Librairie du Petit Journal, 1867. . C’est dire que Cezanne y jouissait d’une tranquillité suffisante pour choisir les œuvres à copier et prendre le temps de soigner ses dessins.

 

1) Première salle des dessins : maîtres anciens italiens.

Pour mieux comprendre les choix de dessins que Cezanne décide d’y copier, nous allons d’abord examiner l’ensemble des principales œuvres qui y figurent : environ 70 dessins y sont exposés tout autour de la pièce richement décorée, comme en témoigne le plafond[4]Cf. Liste complète des dessins en Annexe ..

ig. 2 — Merry-Joseph Blondel, La France victorieuse à Bouvines (1214), INV 2627, C 368.

1) Principales œuvres exposées

Faisons le tour de cette salle en partant du premier mur de gauche en entrant et en suivant l’ordre d’accrochage.

Le premier mur est occupé en hauteur par le Cortège triomphal de Romano (réattribué depuis à Benedetto Pagni), un énorme carton de 3,5×8,3 m bien propre à impressionner — de même que sur le mur d’en face sont exposés quatre cartons de Mignard (dont Hero et Léandre, 2,8×3,2 m).

Fig. 3 — Romano (Pagni Benedetto), Cortège triomphal, 3,5×8,29 m, INV 3533.

Suivent un beau Jugement de Salomon de Mantegna, deux initiales ornées et une belle étude de draperie de Lorenzo di Credi :

Fig. 4 à 7 — Dessins exposés dans la première salle des dessins[5]Mantegna, Le Jugement de Salomon, 46,6×37, INV 5068.
Lorenzo Monaco, Les Trois Marie au tombeau, 45,8×48 cm, RF 830.
Simone Martini (Maître de Sant’Eugenio), L’Annonciation, 17×15,9 cm, INV 1313.
Lorenzo di Credi (réattr. Lorenzo Sciarpelloni), Étude de draperie pour la figure de saint Barthélemy, 38,9×27 cm, INV 1791.
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Viennent alors toute une série de dessins de Luca Signorelli qui vont particulièrement arrêter Cezanne :

Fig. 8 à 16 — Les dessins de Signorelli exposés dans la première salle des dessins[6]Signorelli, Deux hommes nus luttant, et deux femmes nues luttant,29,6×37,4 cm, INV 1794.
Signorelli, Un saint debout – saint Joseph (?), 39,1×35,2 cm, 1795.B.
Signorelli, Un saint moine debout – saint François (?), 38,8×19,5 cm, INV 1795.A.
Signorelli, Homme debout, drapé, les mains jointes sur la poitrine – saint ou apôtre (?), 46,5×25,5 cm, INV 1796.
Signorelli, Homme nu, de dos, bras joints au-dessus de la tète ; repris en haut à droite,41,2×25,3 cm, INV 1797.
Signorelli, Sainte drapée, debout, tenant un vase de la main droite – sainte Madeleine ?, 35,1×21,3 cm, INV 1798.
Signorelli, Homme nu entourant les épaules d’un autre homme avec son bras gauche, 41,2×26,6 cm, INV 1799.
Signorelli, Crucifixion, 51×83,3cm, INV 1800.
Signorelli, Homme nu, debout, de dos, portant sur ses épaules un corps inerte, 35,5×22,5 cm, INV 347.
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Suivent une Judith de Mantegna, une Tête de vieillard de Lorenzo di Credi, et deux Pérugin :

Fig. 17 à 20 — Dessins exposés dans la première salle des dessins (suite)[7]Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans le sac tenu par sa servante, 31×23,5 cm, MI 916.
Lorenzo di Credi, Tête de vieillard, 13×10,5 cm, INV 1784.E.
Le Pérugin, Tête de la Vierge, vue de face, 25×18,7 cm, INV 4370.
Le Pérugin (réattr. Lo Spagna), Tête d’homme chauve, de trois quarts, à droite, 18×12,2 cm, INV 4375.
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Enfin, deux Pérugin et deux Pisanello (Cezanne copiera la tête du mulet à la fin des années 1870) terminent ce parcours des meilleurs dessins exposés :

Fig. 21 à 24 — Dessins exposés dans la première salle des dessins (fin)[8]Le Pérugin, Etude d’une tête de la Vierge, 28×17,7 cm, INV 4364.
Le Pérugin, Saint Jérôme, debout, 31×15,9 cm, MI 915.
Pisanello, Deux aigles héraldiques, 23,5×17, 2INV 2485.
Pisanello, Mulet harnaché, de profil vers la gauche, 18,8×24,9 cm, INV 2380. La tête en sera copiée par Cezanne vers 1880.
Il existe aussi dans cette salle cinq grand cartons de Lebrun et 4 grands cartons de Mignard.
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Difficile de trouver la moindre unité logique dans la suite de ces dessins : dans l’esprit du conservateur Reiset, la variété de genre et de facture vise à faire ressentir la richesse de la création de ces maîtres anciens. Pour Cezanne à la recherche de formes réutilisables dans sa propre production, on comprend que ce soit finalement dans Signorelli et la variété des attitudes corporelles présentes sur ses dessins qu’il trouve son inspiration : nous connaissons une dizaine de copies de cinq des dessins de cet artiste, réalisées sur une quinzaine d’années. Trois de ces copies sont réalisées entre 1867 et 1870, à partir de deux de ces dessins.

2) Homme nu, d’après Signorelli, 1866-1869 (FWN 3017-11b — C0183 et FWN 3017-16b — C0184)

Le premier dessin de Signorelli sur lequel s’arrête Cezanne est l’Homme nu entourant les épaules d’un autre homme avec son bras gauche, et il en tire deux copies sur son carnet favori au Louvre, le FWN 3017[9]Rappelons que ce carnet comporte 72 pages et 276 dessins, dont 36 (sur 7 pages) sont des copies d’œuvres du Louvre..

Fig. 25 à 27 — Homme nu entourant les épaules d’un autre homme avec son bras gauche de Signorelli, copié par Cezanne.

Cezanne ne recopie que le personnage de droite, éliminant ainsi l’aspect narratif du modèle, comme il en a l’habitude. On peut supposer qu’il choisit ce dessin dans la continuité de ses recherches assez fréquentes dans la période qui nous occupe sur le nu masculin en dessin, dans la foulée des académies réalisées chez Suisse, recherches dont voici quelques exemples :

Fig. 28 à 42 — Les recherches de Cezanne sur le nu masculin entre 1862 et 1869[10]Le dernier dessin de baigneur C0419 est le premier de la période post-Napoléon III : cela montre que pendant trois ans, entre 1869 et 1873, Cezanne a abandonné cette recherche, qu’il ne reprendra désormais que sous la forme d’une exploration des positions possibles de baigneurs..

La première copie, assez rapidement exécutée, se contente de camper le personnage pour en mémoriser la position, la tête étant laissée en jachère, comme la main qui ne vient plus rompre la ligne de la hanche. La technique est bien cézannienne ici, avec des lignes de contour variées (continues, redoublées, floutées, renforcées ou absentes selon les endroits) et un modelage par traits obliques allongés aux orientations également variées, suffisants pour indiquer les principales zones d’ombre. C’est croqué avec rapidité et énergie. Tel quel, ce dessin peu fini mais bien équilibré réalise parfaitement son objectif : capter l’essentiel d’une position.

La seconde copie est plus finie, la ligne de contour simple et continue plus traditionnelle, avec à peine quelques redoublements au niveau des épaules. Le système de hachures est moins anarchique que dans la précédente copie, et s’appuie en outre sur des grisés par endroits pour renforcer le rendu des ombres et des lumières, avec quelques points davantage marqués pour renforcer le relief (les tétons, la clavicule droite, le nombril, le pli de l’aine, le haut de la cuisse gauche au-dessus du sexe). Pour une fois, la main est soignée, quoique les doigts et la paume soient un peu trop larges. Le visage aussi surprend par la précision du rendu de l’expression du modèle : ce n’est pas dans les habitudes de Cezanne qui modifie très généralement celle du modèle pour éviter toute interprétation psychologique ou référence au vécu du modèle dans son contexte. En outre, il rajoute le bras du personnage de gauche (et une amorce de sa main droite), incompréhensible pour qui ne connaîtrait pas le dessin de Signorelli, mais qui a pour fonction d’ajouter un arrière-plan à son personnage et donc de le faire se détacher davantage en relief. La mise en valeur du tronc repose également sur le cadrage, éliminant les jambes. Finalement un beau dessin, dont l’objectif pour Cezanne nous semble ambigu car, exécuté à base de techniques classiques, il se tient à mi-chemin entre les esquisses du type de la première copie et les dessins léchés réalisés en atelier. Incontestablement un Cezanne, mais sans rien de particulièrement original. Mon impression est que c’est un dessin de délassement et non d’exploration, exécuté tranquillement sur place, sans autre recherche que le plaisir de restituer à sa manière ce qui l’a séduit dans le dessin de Signorelli. Séduction dont témoigne le fait qu’il en a conservé toute sa vie une gravure[11]La chalcographie ne possédait pas de gravure de ce dessin, mais la vente après décès de la collection de Charles Le Blanc chez Drouot en mai 1866 comprenait un exemplaire de cette gravure, n° 139 du catalogue, ce qui prouve qu’elle existait en 1866 et qu’on pouvait l’acquérir. Chappuis parle également d’une photographie présente dans l’atelier, ce que confirme Théodore Reff qui parle également de la présence d’une gravure. Mais comme on ne sait pas à quelle date Cezanne a acquis ces documents, il demeure pour moi beaucoup plus vraisemblable qu’il a exécuté sa copie directement sur l’original : une mise au carré de toutes façons n’aurait pas donné les déformations observées sur la copie..

Dans une quinzaine d’années, revenant une nouvelle fois dans cette salle, Cezanne copiera encore ce dessin de Signorelli, mais en s’intéressant curieusement uniquement aux jambes du personnage de gauche, comme nous le verrons (cf. FWN 3003-52b — C0674).

 

3) Le Vivant portant le mort, d’après Signorelli, 1867-1870 (FWN 3017-23a-TA, C0182)

Ce magnifique dessin d’un homme vu de dos, portant en silhouette un compagnon évanoui ou mort est célèbre[12]Cezanne n’a pu le connaître dans Charles Blanc, car l’école florentine, où figure une (médiocre) reproduction de ce dessin, ne paraît qu’en 1883 (École florentine, Luca Signorelli, p. 1)., très admiré par les visiteurs de la salle n° 1, et souvent copié : Cezanne à son tour se livre à l’exercice sur son carnet de dessin favori au Louvre, le 3017. Il a d’ailleurs conservé dans sa collection personnelle deux reproductions de ce dessin[13]Cf. note précédente. Dans la vente précitée, la reproduction portait le n° 141. Chappuis indique également la présence d’une photographie de ce dessin dans l’atelier..

Fig. 43 — Le Vivant portant le mort de Signorelli, copié par Cezanne.

Au milieu, superposition des deux silhouettes.

Le fini de ce dessin témoigne de la tranquillité qui régnait dans les salles de dessin, bien moins fréquentées que celles de peinture. Cezanne pouvait donc ici prendre son temps pour le peaufiner dans son carnet sans être dérangé.

Sur sa copie, la puissance physique du modèle est accrue par une amplification du torse musculeux en largeur et en hauteur au-dessus des coudes, et simultanément un raccourcissement des jambes : le personnage en devient plus trapu et plus vigoureux, d’autant plus que la ligne de contour du corps est tracée fortement d’un trait noir continu qui accentue sa présence par rapport au fond. Le modelage ombres-lumières sur le corps est conforme au modèle et demeure lui aussi, comme la ligne de contour, d’une technique très classique : ce dessin, qui évoque les académies aixoises de sa jeunesse, n’a donc rien de typiquement cézannien et il aurait satisfait son maître Gibert. C’est donc bien la forme du corps et non la valeur de son dessin qui intéresse Cezanne : en témoignent les multiples reprises de cette forme de base — qui fait d’ailleurs écho à l’Orateur romain que nous retrouverons bientôt — que l’on peut reconnaître dans plus d’une cinquantaine de baigneurs.

Comme pour le dessin précédent, dans une dizaine d’années Cezanne copiera à nouveau deux fois de suite ce dessin, en s’intéressant ici aussi curieusement uniquement au bassin et aux jambes, comme nous le verrons (cf. FWN 3015-31b — C0488a ; FWN3003-53b — C0675).

2)  Deuxième salle des dessins : la Renaissance italienne

Cette grande salle est la plus imposante des salles des dessins. Pour accroître la surface d’exposition disponible, elle comprend en son milieu un quadrilatère de vitrines à double face avec en son centre un album tournant, disparus sur la photographie de son aménagement actuel :

Fig. 44 — La seconde salle des dessins aujourd’hui, avec son plafond et la couleur des murs d’origine.

 

1) Principales œuvres exposées

On y expose environ 160 dessins des plus grands maîtres : Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël notamment. Cezanne l’a souvent visitée, et il en a copié 7 dessins avant 1870, avant d’y revenir vers 1880 pour deux nouvelles copies.

Voici le plan de cette salle, avec l’indication en vert de l’emplacement des principaux dessins qu’il a pu y admirer (reproduits pages suivantes), et en rouge ceux qu’il a copiés avant 1870[14]Les dessins sont repérés par leur n° Reiset, celui qui a cours du temps de Cezanne. Voir leur identification dans les notes suivantes ; le nom de l’auteur figure en premier, éventuellement suivi d’une parenthèse indiquant la réattribution étant intervenue postérieurement à la mort de Cezanne. Le n° 383 sera copié seulement vers 1880. :

Fig. 45— Implantation des œuvres exposées, repérées par leur n° Reiset.

 

Après être entré depuis la salle n° 1, on peut voir sur le mur de gauche (mur sud) :

Fig. 46 à50 — Quelques dessins exposés mur sud de la salle 2[15]Giulio Romano (réattr. Pagni Benedetto), Une ville incendiée, 3,5×5,75 m  INV3532, Reiset 262. Carton placé au-dessus des autres dessins. Cezanne en copie un personnage.
Raphaël, Le Christ debout, 23,3×13,4 cm, INV3854, Reiset 314.
Vinci. Portrait d’Isabelle d’Este (1499-1500), 61 cm × 46,5 cm, MI 735, Reiset 390.
Vinci, Buste de femme, 27,5×22 cm, INV 2575, Reiset 396.
Raphaël, Sainte Catherine d’Alexandrie, 58,7×43,6 cm,  INV 3871, Reiset 323.
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Fig. 51 à 54 — Quelques dessins exposés sur les vitrines centrales face au mur sud de la salle 2[16]Sebastiano del Piombo, La Visitation, 38×23,6 cm, INV 505, Reiset 235.
Fra Bartolomeo, Christ mort de profil vers la droite, 15,5×22,6 cm, INV 1672.D, Reiset 53. Copié par Cezanne.
Andrea del Sarto, Tètes de femmes coiffées d’un turban et vues de trois quarts, 13,2X11 CM, INV 1716 et 1716.BIS, Reiset 51.
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Fig. 55 à 57 — Quelques dessins exposés sur les vitrines centrales face au mur ouest de la salle 2[17]Vinci, Tête d’enfant de trois quarts à droite,16,9×14 cm,  INV 2347 Reiset 383bis.
Raphaël, Psyché présentant à Vénus l’eau du Styx ou Psyché présentant à Vénus le cadeau de Proserpine, 26,5×19,7 cm   INV 3875, Reiset 327.
Vinci (réattr. Boltraffio), Tête d’enfant, 12×10, INV 2250, Reiset 383.
Ces trois dessins seront copiés par Cezanne.
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Fig. 58 à 63 — Quelques dessins exposés à l’intérieur des vitrines centrales de la salle 2[18]Raphaël, La Vierge à l’Enfant assise, de trois quarts ; tête de vieil homme, 22,3×15,4 cm, INV3861, Reiset 316.
Anonyme Italien début XVIè, Évêque debout, tenant sa crosse et lisant, 23×13,7 cm, INV 9873, Coll. Baldinucci, Reiset 449. Copié par Cezanne.
Vinci, Draperie pour une figure agenouillée, 18x23cm, INV 2256, Reiset 389.
Polidoro da Caravaggio, Un trophée avec un casque, une cuirasse, deux boucliers et deux vases, 23,6×34 cm, INV 6105, Reiset 1546.
Raphaël, Femme debout, de profil, le visage de face, un bras levé – Le Commerce, 26×13,2 cm, INV 3877, Reiset 328.
Raphaël, Tête de vieil homme, études d’un cou, de cinq mains et homme drapé debout,41,3×27,8 cm, INV 3869, Reiset 322.
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Fig. 64 à 66 — Quelques dessins exposés sur les vitrines centrales face au mur nord de la salle 2[19]Vinci, Tête d’homme âgé, 94×61 cm, INV 2249, Reiset 385.
Michel-Ange, Le Christ en croix, 23×13,5 cm, INV 739. BIS, Reiset 120.
Vinci, Tête de jeune homme aux cheveux bouclés, de trois quarts vers la droite, 15×12,5 cm, INV 2557, Reiset 386.
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Fig. 67 à 69 — Quelques dessins exposés sur les vitrines centrales face au mur est de la salle 2[20]Vinci (réattr. Sciarpelloni Lorenzo), Tête d’homme chauve, de trois quarts, à droite, 16×14,2 cm, INV 2518, Reiset 392.
Michel-Ange, La Résurrection du Christ,15,5×17 cm, INV 691.BIS, Reiset 112. Copié par Cezanne.
Raphaël, Étude pour la Grande Sainte Famille de François Ier, 17,3×11,9 cm, INV 3862, Reiset 317.
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2) Évêque mitré, 1866-1867 (FWN 3017-32b — C0165).

Peut-être pour apprivoiser les lieux, Cezanne commence par une copie à l’intérieur du quadrilatère des vitrines centrales, toujours sur son carnet FWN 3017. Il choisit un dessin traitant d’un thème qui n’aura aucun successeur dans son œuvre, celui d’un évêque. Peut-être est-il influencé par sa proximité avec celui de la Draperie de Vinci (Fig. 60), tous deux dans les mêmes tonalités affirmées par rapport aux autres dessins exposés, et tous deux consacrés à la mise en valeur des contrastes appuyés entre les zones d’ombre et de lumière.

Fig. 70 et 71 — Anonyme et Cezanne – Évêque debout, tenant sa crosse et lisant.

Cezanne copie son modèle à quelques variations près : la couverture du livre rejoint le bras droit, dont l’avant-bras est allongé ; la taille des deux évêques, identique en hauteur, est étoffée en largeur chez Cezanne. Il a perdu la moitié de sa crosse, ce qui montre que le statut du personnage n’a aucun intérêt pour lui. A nouveau, il lui importe peu de faire une copie exacte, car ce n’est donc pas la forme qui l’intéresse ici ; en revanche, une fois celle-ci globalement mise en place, la répartition des ombres et des lumières par plaques assez clairement délimitées sur son modèle le pousse à expérimenter comment rendre ce modelé particulier avec ses propres outils graphiques. Il y réussit parfaitement.

En effet, il reproduit fidèlement la topographie des zones d’ombre et de lumière de son sujet, notamment marquée dans les plis et les couches successives de vêtements, le contraste progressif entre la gauche et la droite du personnage en fonction de la lumière tombant depuis le haut à gauche ; et il le fait par un usage combiné de frottis de gris et de hachures variées, droites, croisées, longues ou brèves, renforcées par l’intensité variable du coup de crayon permettant de souligner certains contours bien délimités pour créer l’effet de relief. La ligne de contour ferme à certains endroits et lâche à d’autres, parfois à angles cassés, ici plutôt globalement nette, campe clairement le personnage ; elle se retrouvera assez souvent dans les dessins du dernier quart des années 1860, parallèlement aux lignes redoublées ou tremblées plus classiques chez Cezanne, ici utilisées avec discrétion. Au plan technique, ce dessin très soigné démontre une maîtrise accrue de Cezanne au long de la seconde moitié des années 1860 dans le modelé : il pourrait avoir été réalisé vers 1867-1869 et non 1866-1867 vu son degré de complexité. Nous constatons également une nouvelle fois que les copies de dessins faites au Louvre sont plus finies que les copies dessinées de peintures, ce qui montre que Cezanne a plus de facilités pour prendre tout son temps dans ces salles attirant relativement peu de visiteurs plutôt que dans les galeries de peintures trop fréquentées à son gré.

A titre de curiosité, on trouvera en Annexe VIII  l’explication des nombreux chiffres qui couvrent cette copie.

 

3) Le Christ mort, d’après Fra Bartolomeo, 1866-1869 (FWN 3017-17a – C0171a).

Deux dessins jumeaux de Fra Bartolomeo et d’Andrea del Sarto exposés côte à côte attirent l’attention de Cezanne sur la face sud des vitrines centrales : celui du Christ mort. Peut-être a-t-il également vu dans une revue d’art une reproduction des Marie au sépulcre de Giovanni della Robbia ou d’une des nombreuses Pietà reprenant peu ou prou cette forme de base du Christ.

Fig. 72 à 75 — Le thème du Christ mort[21]Les deux études de mains et la tête de moine situées sur le dessin de Fra Bartolomeo sont d’Andrea del Sarto..

Toujours fidèle à son carnet FWN 3017, Cezanne décide de copier le dessin de Fra Bartolomeo, dont la forme du bras gauche et le traitement graphique sont plus intéressants que celui d’Andrea del Sarto.

Fig. 76 et 77 — Le thème du Christ mort.

Comme pour l’évêque, la copie de Cezanne est relativement fidèle à l’original ; les différences témoignent simplement du fait que ce n’est pas le souci de l’exactitude de la reproduction qui domine : moindre largeur des hanches et du tronc légèrement redressé, angle du bras gauche plus fermé, position du bras droit plus près du corps du fait de l’omission de la pierre de support, suppression du bandeau dans les cheveux ; ici aussi, le thème n’est qu’un prétexte pour un nouvel exercice de modelage d’une forme saisie dans ses traits principaux. Et cet exercice se révèle ici également nettement poussé : il repose sur l’usage presque exclusif, plutôt peu courant chez Cezanne, des frottis et grisés continus et d’intensité variable, particulièrement travaillé pour assurer l’essentiel de la mise en valeur des reliefs. Les hachures assez discrètes ne viennent en appoint qu’au niveau de la jambe droite et du bras gauche, et c’est l’usage de la ligne de contour, simple et nette, renforcée par endroits, qui donne sa vigueur à la figure : elle apparaît moins « molle » que celle de Fra Bartolomeo, musculairement plus tendue. Y participe d’ailleurs la ligne anguleuse de l’occiput.

Finalement, ce dessin se situe dans la ligne des explorations précédentes du rendu de la lumière sur un corps. La forme de ce corps ne sera pas reprise par la suite, ce qui montre bien qu’ici Cezanne ne cherchait pas à enrichir sa collection de formes archétypales. Certes, on s’est plu à imaginer que cette forme avait pu inspirer celle des Autopsie et autres Toilette funéraire((FWN 597 et FWN 2111, beaucoup plus proches d’ailleurs de la Mise au tombeaude Jusepe de Ribera que de celles d’Andrea del Sarto et de Fra Bartolomeo.)) contemporaines de ce dessin. Si ce rapprochement est possible, il est loin d’être convaincant, d’autant que la tête comme le tronc dans ces œuvres sont penchés vers l’arrière et non l’avant, et que le bras gauche, avec sa forme si caractéristique, y est absent. Mais surtout, le type de modelage des reliefs est radicalement différent. Reste donc au mieux l’idée d’une parenté de forme entre deux corps assis au sol et semi-allongés vers l’arrière, ce qui finalement est une position assez commune dans l’art. Je considère que ce type de rapprochement n’apporte rien à la compréhension des œuvres en question, car trop limité à une approche très superficielle de la façon dont chacune est traitée techniquement.

 

4) Psyché présentant à Vénus l’eau du Styx, d’après Raphaël, 1866-1869 (FWN 3017-03a — C0085)

Contournant le quadrilatère des vitrines centrales vers la gauche, Cezanne choisit maintenant de copier sur son carnet favori la sanguine préparatoire de Raphaël pour la Loge d’Amour et de Psyché de la Farnesina[22]Raphaël, Psyché présentant à Vénus l’eau du Styx ou Psyché présentant à Vénus le cadeau de Proserpine, 26,5×19,7 cm, INV 3875, Reiset 327., dont il a pu voir une reproduction en gravures, assez courantes dès le XVIe siècle.

Fig. 78 à 80 — Raphaël, Psyché porte à Vénus le baume de beauté de Proserpine, et une gravure du XVIe siècle de Lambert Suavius III.

Le dessin de Cezanne est très précisément copié sur l’original, sauf en ce qui concerne la position de la tête, légèrement redressée, et du bras droit, légèrement rapproché de celle-ci, comme le montre la superposition des deux profils :

 

 

Fig. 81 à 83 — Superposition des deux profils.

L’expression du visage est également modifiée, passant d’une Vénus boudeuse à une Vénus souriante. Mais ces variations sont très mineures, et on est frappé par l’exactitude du rendu de la silhouette, chose tout à fait rare chez Cezanne copiste (pour une fois, même les mains sont fidèlement rendues !) On ressent qu’il est tombé sous le charme de cette forme[23]Ceci d’autant plus que, dans les musées de peinture et de dessin du Louvre, ce sera la seule copie dessinée de femme nue comme sujet principal réalisée avant 1870 (Bethsabée est une copie peinte). Dans les musées de sculpture, on trouvera cependant deux copies d’Andromède en 1864-67 et trois Vénus de Milo en 71-72 (voir plus bas). Rappelons qu’avant 1861 et son arrivée à Paris, on ne connaît de toutes façons qu’une copie de femme nue réalisée au musée Granet à partir du moulage en plâtre FWN2071 — C0074., et aussi de son modelé : il a également cherché à le rendre avec exactitude, pratiquement avec les mêmes techniques que Raphaël en matière d’ombrages (à quelques très légères hachures près), ce qu’il ne fait jamais, lui qui utilise presque toujours la forme copiée comme base de ses exercices de rendus personnels. Pour la première fois depuis que l’on se promène dans les dessins réalisés au Louvre, on peut réellement parler ici de copie.

Bien entendu, comme presque toujours, Cezanne omet une partie de l’original, ici Psyché, ce qui lui permet de mettre beaucoup mieux en valeur que dans l’original la jambe droite de Vénus, conférant ainsi à son corps entier une unité renforcée. La ligne de contour est plus ferme, tracée de façon continue d’un trait sûr et appuyé. C’est dans cette présence forte d’une Vénus se détachant vigoureusement sur le fond que l’on peut trouver l’originalité du dessin de Cezanne par rapport à celui de Raphaël, et c’est à cela que l’on reconnaît dans ce dessin, bien qu’il soit une copie, toute la personnalité de son auteur, son « temmpérament » comme il l’aurait dit lui-même…

N.B. : Cezanne reviendra sur ce dessin à la fin des années 70 (C0480), dans un tout autre esprit.

 

5) La Crucifixion, d’après Michel-Ange, 1866-69 (FWN 3017-03b — inconnu de Chappuis).

Cezanne continue de faire le tour des vitrines. Face au mur nord, il néglige les dessins de têtes, sujet qu’il ne copie jamais, au profil du grand dessin du corps du Christ crucifié de Michel-Ange[24]Michel-Ange, Le Christ en croix avec la Vierge et saint Jean, 43,5×29 cm, INV 700, Reiset 120. qui le retient, fidèle à son exploration des corps nus à laquelle il se livre depuis qu’il a pénétré dans les salles de dessins.

Fig. 84 et 85 — Copie de La Crucifixion de Michel-Ange.

Au verso de la Vénus que l’on vient d’examiner, ce dessin en prend l’exact contre-pied : au lieu d’une copie fidèle, il se livre ici à un détournement du modèle, dont il ne retient que la forme d’un corps aux bras levés coupé au niveau des genoux, et dont il modifie très nettement les proportions (angle des bras, largeur du tronc). Il est clair que seul l’intéresse le modelage de ce corps, d’ailleurs peu lisible sur la feuille assez abîmée de Michel-Ange. Pour cela, comme dans les précédents dessins, il utilise par endroits un léger grisé, mais uniquement pour servir de support secondaire à un jeu très original de hachures. Celles-ci combinent des hachures courbes larges courant du bord droit au bord gauche du corps (voir la tête, le bas des côtes et l’abdomen) contrastant fortement avec des hachures droites longues et croisées au second plan à gauche (sous l’épaule droite et le long du torse, sous la main gauche et plus légèrement le long du bras droit), plus courtes au niveau des hanches, plus légèrement tracées sous le bras gauche : ce contraste entre les hachures courbes internes au corps et les hachures raides et croisées externes en arrière-fond permet de faire ressortir fortement le corps vers l’avant.

Par ailleurs, le corps lui-même est traité avec une grande variété de coups de crayons : petites hachures en grille au niveau des clavicules, du sternum et sous le nombril ; renforcement le long du bras droit de l’ombre par des hachures continues aux extrémités en courbes, reprises en partie dans le biceps gauche ; petits blocs de hachures parallèles sur le pectoral droit, la hanche droite et les cuisses ; renforcement discontinu de points de contour par des traits de crayon noir très appuyés, donnant un relief très accentué aux endroits ainsi soulignés, etc.

Quand on l’examine dans le détail, ce dessin est très complexe et osé — car on pourrait aussi le considérer comme assez brouillon dans son traitement. Mais si on l’examine à une certaine distance, (voire en clignant légèrement les yeux), on se rend compte que l’effet de relief produit par ce modelage ombres-lumières est saisissant, d’autant plus qu’il ne comporte, contrairement à ce que l’on voit souvent pour exprimer les zones lumineuses, pratiquement aucune zone vide (au niveau des pectoraux et des côtes gauches). Tout se joue sur les différences d’intensité allant du gris très léger au noir le plus accentué. Un très bel exercice donc, où l’on reconnaît un moment de maîtrise du dessin proprement cézannien, dont on comprend combien il a pu choquer tous les tenants des techniques traditionnelles de rendu enseignées dans les écoles de dessin.

 

6) La Résurrection, d’après Michel-Ange, vers 1867 (FWN 3017-18a — C0172a à d)

Encore un nouveau tour le long des vitrines centrales : sur les vitrines orientées à l’est, Cezanne retrouve un Christ de Michel-Ange traité en sanguine[25]Michel-Ange, La Résurrection du Christ,15,5×17 cm, INV 691.BIS, Reiset 112. dont le mouvement d’envol ne peut que le séduire, lui qui aime représenter les personnages volants, comme on l’a vu au Salon carré et ailleurs. En outre ce dessin attire immanquablement l’attention par contraste avec ceux qui l’entourent, beaucoup plus sages. Tournant une nouvelle page de son carnet FWN 3017, il va s’y attarder en en réalisant quatre copies partielles.

Fig. 86 et 87 — Copies de La Résurrection de Michel-Ange

 

Il est difficile de trouver dessins plus différents du précédent dans leur intention que ces copies : autant celui-là s’intéressait au modelé au détriment de la forme, autant ceux-ci prennent le parti inverse.

Le premier dessin (en haut à gauche) tient tout entier dans les lignes de contour du buste, de type bosselé-redoublé à droite et bosselé-brisé à gauche. La mise en relief du corps tient uniquement à quelques segments courts fortement appuyés, droits ou arrondis. Les hachures longues parallèles envahissent le tronc de façon uniforme, très loin de la complexité et de la variété du système de hachures du cucifié : elles se contentent de différencier de façon grossière les zones d’ombres et de lumières sans fidélité au modèle C’est donc bien ici la forme qui domine au détriment du modelé. Cezanne veut capter l’élan vers le haut du personnage en train de s’affranchir de la pesanteur.

Cependant le résultat ne le satisfait pas, aussi refait-il une copie (en haut à droite) dans laquelle il allège considérablement le personnage, le premier lui apparaissant trop lourd au niveau du tronc et avec des jambes trop statiques. Il amincit la taille, équilibre le tronc par rapport à celui du premier dessin un peu grossier, et surtout introduit du mouvement dans sa figure par l’usage de lignes de contours plus légères, plus floues par endroits, comme pour le bras droit et la jambe gauche, faits de filaments étirés pour l’un vers le haut et pour l’autre vers le bas, dans un mouvement symétrique qui indique pour l’un l’entrée dans le ciel et pour l’autre l’arrachement au tombeau suggéré par quelques lignes droites obliques. Surtout, il amplifie par rapport au modèle la sorte de capuche qui flotte derrière ce corps, comme emportée par le vent de cette plongée dans l’éther. L’intérieur du corps est traité de façon plus subtile que dans la première copie, toujours sans fidélité au modèle cependant : Cezanne fait le minimum pour donner un peu de relief à ce corps, mais ce n’est manifestement pas le modelage qui l’intéresse : même le V dessiné au niveau du sternum pointe vers le haut dans le sens de l’ascension, et le ventre s’amincit comme s’il était aspiré par la poitrine gonflée elle aussi vers le haut.

De même, la forme à peine esquissée du soldat debout à droite dans le dessin de Michel-Ange est reprise sans aucun souci de modelé (il ne contient plus aucun de ces petits traits noirs ou segments renforcés marquant les reliefs internes), en de longs traits de contour rompus, se chevauchant, se croisant de façon à éviter toute ligne de contour continue : ces ruptures et ce flou donnent l’impression que le personnage, loin d’être stable, se redresse violemment dans un mouvement plus dynamique même que celui du modèle.

Le quatrième personnage assis au sol pose un problème : il ne figure pas sur le dessin de Michel-Ange, où tous les soldats assis au sol adoptent des positions très différentes. Le dessin, plus sage, avec une ligne de contour continue bosselée classique chez Cezanne, très différente de celle des trois autres dessins, est certes cohérente avec le sens de la scène de la Résurrection telle qu’elle est traitée habituellement par les peintres et dessinateurs : les soldats doivent y figurer endormis ou paralysés par la puissance du miracle en train de s’accomplir, donc immobiles. Mais pourquoi inventer une forme sans rapport avec celles de l’original ? Deux hypothèses possibles : soit Cezanne s’est effectivement laissé aller à inventer de toutes pièces la forme d’un de ces soldats, soit en réalité ce quatrième personnage ne fait pas partie de la copie et a été tracé dans un autre contexte, qui pourrait être celui d’un déjeuner sur l’herbe… Dans le premier cas, sa position au pied du premier Christ est logique. Dans le second, il est vraisemblable que ce personnage a été le premier dessin tracé sur cette feuille, vu sa position centrale ; plus tard, se trouvant devant la sanguine de Michel-Ange et décidant de s’approprier les mouvements ascendants de ses personnages, il a réparti ses trois copies autour, selon la place disponible. Comme on ne trouve aucun autre exemple de personnage à l’attitude complètement inventée dans une scène copiée, il paraît clair que c’est la seconde hypothèse qui rend le mieux compte de la répartition de ces quatre personnages.

 

7) Homme debout, d’après « Une ville incendiée » de Giulio Romano, 1869-1870 ou 1871-1872 (FWN 3017-32a — C0241a)

Après avoir fait le tour de la salle, nous voilà de retour devant le mur de l’entrée pour un ultime dessin d’homme debout, que Cezanne va tracer au verso du dessin de l’évêque dans son carnet FWN 3017. Il s’agit ici d’un grand carton de 3,5 x5,75 mètres d’une série de 8 tapisseries des Gobelins sous le titre Fructus Belli, les fruits de la Guerre, dont nous avons déjà rencontré le carton du Cortège triomphal dans la première salle.

Fig. 88 — Giulio Romano (réattr. Pagni Benedetto), Une ville incendiée, 3,5×5,75 m, INV 3532, Reiset 262.

Cezanne isole à droite l’homme de dos pris dans son élan vers l’avant, les bras levés, dans une attitude assez proche de celle du troisième personnage de la Résurrection de Michel-Ange : on retrouve là sa préoccupation de capter des silhouettes en mouvement.

Fig. 89 et 90 — Copie d’un personnage de La ville incendiée de Romano.

Peu de différences sur le plan de la forme générale entre la copie et l’original ; Cezanne donne au personnage une forme amincie, plus svelte, et omet le tibia et le pied gauche le reliant au sol : ainsi son élan vers l’avant se transforme légèrement en mouvement vers le haut, l’appel au sol du pied droit étant accentué comme pour préparer un saut en avant. Influence de La Résurrection ?

Ce dessin réalise une belle synthèse de ses différentes expérimentations dans les deux salles de dessins, par la variété et l’harmonisation des différentes techniques utilisées, tant sur le tracé de la forme que sur le modelé des volumes. La ligne de contour est très variée : légèrement bosselée pour le corps au-dessus des cuisses, elle se fait linéaire par segments droits pour les jambes. Simple et continue dans les bras, elle se double généralement à gauche d’un trait fin accentuant ses ondulations, et devient un peu anarchique dans le bas de la culotte qui semble ainsi davantage flotter, emportée par le mouvement du personnage (à la différence du modèle, statique en cet endroit, notamment à droite : les plis ronds se transforment en multiples plis anguleux). Dans les jambes, les segments droits du contour, accentués à gauche, s’interrompent et se chevauchent sous le pied et à droite.

Quant au modelé, point d’acharnement dans le remplissage du corps par des hachures aux formes multiples comme dans le Crucifiement, ni à l’inverse d’absence ou d’usage presque exclusif de petits traits renforcés soulignant les aspérités comme dans les copies de la Résurrection. Au contraire, un soulignement discret des principaux points de rupture de la lumière, autour du cou, le long de l’épine dorsale, au niveau des fesses, esquissant un relief qui se trouve renforcé à droite par une étroite bande ombreuse (faite de grisés et de très légères hachures). Celle-ci court tout le long de la ligne de contour souple et continue délimitant le torse et s’évase au niveau du bassin dans les plis de la culotte : cela suffit pour que la figure se détache nettement en trois dimensions de l’arrière-fond, qu’il n’est nul besoin d’évoquer. Pour finir, le contraste entre les vêtements et les chairs des bras et des jambes est traité de la façon la plus simple : elles sont laissées vides. D’ailleurs, ces bras entièrement blancs contribuent à alléger la figure, comme si son mouvement vers le haut s’accompagnait d’une sorte de désincarnation en marche, de dissolution dans le vide du ciel dont l’index levé de la main droite indique la direction…

On retiendra finalement de cette copie son extrême élégance comparée à l’original. Ce dessin marque un sommet dans l’intégration réussie par Cezanne de tous les outils graphiques dont il a expérimenté les possibilités au cours de cette période, que ce soit en copiant des peintures ou des dessins.

C’est d’ailleurs pourquoi il est vraisemblable que la datation la plus acceptable pour ce dessin soit plutôt 1871-1872, après son retour à Paris et avant son départ à Auvers.

 

8) Une jambe, d’après « Une ville incendiée » de Giulio Romano, 1869-1870 ou 1871-1872 (FWN 3017-32a — C0241b)

Un thème de copie étrange de la part de Cezanne, dont on ne connaît par ailleurs que 10 dessins anatomiques de pieds — d’ailleurs presque tous parfaitement médiocres — qui ne lui ont manifestement pas servi à grand-chose quand on constate son indifférence quasi totale lorsqu’il s’agit de dessiner ou de peindre des pieds (ce dont témoignent d’ailleurs ici les deux autres croquis présents sur la feuille, surtout celui de droite où les pieds sont réduits à des filaments informes) … Aussi la précision du détail des orteils de cette copie apparaît surprenant !

Fig. 91 à 98 — Les études anatomiques de pieds chez Cezanne.

Quant à la quinzaine d’études de jambes, elles ne valent guère mieux, à part celle-ci et deux autres études des environs de 1885[26]Baigneurs, caryatide, 1883-1886 (FWN 3008-50b — C0631c) et la copie Étude de jambes, d’après Signorelli, 1884-1886 (FWN 3003-52b — C0674).

Fig. 99 et 100 — Une copie de jambe améliorée par rapport à l’original.

Ayant contemplé beaucoup d’études anatomiquement précises chez Raphaël, Vinci ou Michel-Ange dans ces deux salles de dessins, Cezanne a-t-il voulu se prouver à lui-même qu’il était capable de les suivre sur ce terrain ? On peut se le demander vu le soin qu’il a apporté à améliorer son modèle dont le genou et le tibia, traités fort platement par Romano, ne peuvent rivaliser en expressivité avec leur copie…

N. B. : Le dessin de l’homme prostré à demi-agenouillé au-dessus de la jambe renvoie vraisemblablement à une copie, non identifiée à ce jour. Pour Chappuis, la recherche de la bonne position pour la jambe droite indiquerait plutôt qu’il s’agit d’une étude plus que d’une copie ; rien n’est moins sûr, quand on observe la qualité du rendu d’une bonne partie du dessin et la position du personnage, qui renvoie plutôt à une figure de prisonnier tirée d’une scène de guerre ou de triomphe, comme on en trouve par exemple dans les dessins suivants que Cezanne a pu voir dans les salles de dessins ou dans les collections de la chalcographie :

Fig. 101 et 102 — Prisonniers prostrés[27]Le Caravage (réattr. Anonyme italien), Deux prisonniers assis courbant la tête et attachés à un trophée d’armes, XVIe siècle, 12×13,1 cm, INV 6087, présent à la chalcographie.
Le Brun, Alexandre et Porus, 50,5×83,5 cm, INV 27666, dessin préparatoire au grand tableau du même nom, INV 2897 que Cezanne a pu également voir dans les galeries françaises.
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Reste à identifier l’original du dessin de Cezanne…

 

9) Vase d’ornement, d’après Le Caravage, 1866-1870 (FWN 3017-31a — Ch240b)

Pour finir, il reste à examiner un dessin différent des autres par son sujet, purement ornemental. Il faut savoir qu’au centre du quadrilatère des bibliothèques, Reiset avait fait installer un album tournant dédié à toute une série de dessins portant sur l’ornementation. On y trouve par exemple une poignée d’épée du Caravage, un projet de plafond par Vasari, un projet de tombeau du Primatice, des projets de décoration architecturale de Romanelli, des arabesques en hauteur de Raphaël, des dessins d’art décoratif, des amphores, des grotesques, des casques, des trophées… Outil de travail donc pour les artistes à la recherche d’idées ou de modèles. C’est en consultant cet album que Cezanne tombe sur un Trophéedu Caravage dont il va copier, toujours dans le carnet FWN 3017, le vase d’ornement de droite.

Fig. 103 et 104 — Vase d’ornement, d’après le Caravage, Un Trophée avec un casque, une cuirasse, deux boucliers et deux vases, 23,6×34 cm, INV 6105, Reiset 1546.

On est là devant un pur exercice de style, dans lequel Cezanne explore la capacité de la technique des petits boucles courbes fortement appuyées parsemées çà et là pour donner vie à un volume, au-delà de la représentation en perspective par les deux ellipses couronnant le haut et le bas du corps du vase et censées indiquer ce volume : cette exactitude géométrique l’indiffère, c’est pourquoi il les reproduit négligemment quasiment parallèles, contrairement à l’original. Il s’intéresse beaucoup plus à la technique des mini-boucles appuyées pour dynamiser cette surface. D’ailleurs il néglige aussi le pied du vase, qui n’appelle pas ce type de traitement, et tant pis si celui-ci apparaît un peu branlant sur son croquis. Il obtient finalement un dessin à la fois précis et évocateur, non dénué d’une certaine élégance, qui d’ailleurs s’accommode bien du voisinage des deux femmes qui l’encadrent, dont les dessins sont eux aussi pleins de souplesse, bien que traités par des techniques différentes, celui de gauche renvoyant plutôt aux femmes en mouvement figurant au verso de cette page (cf. chapitre VI, II-11c, FWN 3017-31b — C0191)[28]Ou encore à FWN 2213, complément des copies de modèles assyriens de FWN 2214 — C0140 dont on trouve également une tête sur 3017-10a — C0139d, notre carnet habituel au Louvre. Cf. Annexe VI du chapitre VI..

 

3) Douzième salle des dessins : Peintres du XIXe siècle

Il est intéressant de noter que dans la période qui nous occupe, après avoir quitté la salle n°2 Cezanne ne copie rien des autres écoles jusqu’à ce qu’il parvienne à la salle 12, située presque au-dessus du pavillon Marengo (cf. Plan Fig. 1) : tout se passe comme si les auteurs de la Renaissance italienne avaient suffi à ses besoins. Mais dans la salle 12, consacrée à 45 dessins d’artistes divers du XIXe siècle, en un ensemble assez hétéroclite, on ne sera pas étonné de voir qu’il se décide malgré tout à faire une copie de son cher Delacroix.

 

1) Principales œuvres exposées

Voici quelques exemples de dessins exposés dans l’ordre des trois murs ouest, nord et sud :

Fig. 105 à 107 — Quelques dessins du mur ouest

 

Fig. 105 à 107 — Quelques dessins du mur nord.

 

Fig. 111 à 113 — Quelques dessins du mur est.

 

2) La copie de Cezanne : L’Éducation d’Achille d’après Delacroix, 1869 (FWN 1841-TA, non catalogué Chappuis).

Rien de très intéressant pour Cezanne dans ce bric-à-brac, sauf le dessin de Delacroix qui voisine les Granet. Ce dessin est une des études préparatoires pour le second pendentif de la première coupole (La Poésie) de l’extraordinaire plafond du palais Bourbon, rendu célèbre à l’époque par diverses gravures et photographies, ainsi que des copies de Delacroix lui-même sous forme de dessins, de pastels et de peintures. Il faut dire aussi que ce thème vient de loin, si l’on en croit le témoignage de Gasquet relatant ses conversations avec le vieux Cezanne, qui évoquait son admiration pour Puget dès sa jeunesse : « Il y a tout Delacroix dans son [celle de Puget] aquarelle au Centaure, à Marseille, cette Éducation d’Achille que je préfère à ses marbres, oui !… avec son couple dans le repli des terres, son emportement, l’héroïsme envolé de l’enfant, les tragiques teintes, la violence de mistral qui bouscule et tonifie les tons… oui, oui. Je le dis souvent, il y a du mistral dans Puget. »[29]Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), p. 27.

Fig. 114 — Pierre Puget, L’Éducation d’Achille par Chiron, Musée des Beaux-Arts de Marseille.

La comparaison de toutes les variantes de l’œuvre de Delacroix est sans appel : c’est bien le dessin figurant dans la salle 12 que Cezanne a copié, avec une très grande fidélité, sur une feuille qui pourrait bien être d’un carnet non identifié vu ses dimensions (29 x 21 cm).

 

 

Fig. 115 et 116 — L’Éducation d’Achille de Delacroix et sa copie[30]Eugène Delacroix, L’Éducation d’Achille, 24 x 30,5 cm, entré au Louvre en 1878, MI 1079, Both de Tauzia n° 1719..

Nous ne disposons malheureusement pas d’une bonne photographie du dessin de Cezanne, en mains privées depuis 1992 ; mais il semble bien que la seule différence visible sur la copie soit la cuisse arrière droite du centaure nettement amaigrie alors que la cuisse gauche d’Achille apparaît  l’inverse plus vigoureuse — l’effet d’ailleurs heureux de cette différence étant de le rendre plus vif dans son mouvement de course en avant, moins alourdi par son arrière-train.

Cette exactitude dans la reproduction du modèle est si rare qu’elle mérite d’être soulignée : non seulement elle porte sur le tracé des lignes de contour que Cezanne suit scrupuleusement dans ses pleins et déliés, dans ses épaisseurs successives, dans ses redoublements quand ils apparaissent (voir la cuisse arrière gauche), mais elle s’applique aussi à reproduire à l’identique la topographie des zones d’ombre et de lumière modelant les volumes. Là où Cezanne se démarque, c’est dans l’accentuation des zones sombres sur les chevelures, le long de la ligne de contour du centaure qui court de son coude droit à sa patte avant, sous les fesses d’Achille et le long de son mollet. On reconnaît là une façon de faire bien cézannienne, consistant à créer des petites taches noires accentuant fortement les contrastes et introduisant par là plus de vigueur dans la figure. C’est bien le cas ici, la figure de Cezanne se détachant nettement plus que celle de Delacroix par rapport à l’arrière-plan.

Mais la vraie originalité de Cezanne tient ici dans l’usage de hachures fines et serrées là où Delacroix utilise les frottis de gris pour modeler les volumes. On a l’impression d’apercevoir par ce procédé les traces du ciseau d’un sculpteur, ce qui confère un caractère plus monumental à l’ensemble et renforce l’impression de solidité qui s’en dégage.

 

4) Conclusion

Comme lorsqu’il copie des personnages issus d’une scène peinte, Cezanne dans les salles de dessin continue sa recherche de positions intéressantes, éventuellement réutilisables. Cependant pour les dessins la domination du thème des nus masculins est écrasante. Il faut dire que l’abondance d’études splendides de nus variés de Vinci, Raphaël ou Michel-Ange dans ces salles ne pouvait qu’inciter à les suivre dans cette voie.

Sur le plan de l’exactitude de la copie, on constate par rapport aux copies de peintures beaucoup moins de fantaisie dans le rendu plus ou moins fidèle des formes copiées. C’est que contrairement aux copies de peinture où Cezanne cherche à rendre indépendant de la scène le modèle sélectionné, ici les figures copiées sont hors contexte par définition, étant des études de nus traitées pour mettre en valeur des attitudes génériques, non pour insérer des personnages jouant un rôle dans une scène donnée. Il n’est donc pas nécessaire de les décontextualiser en modifiant les formes copiées[31]L’exception qui confirme la règle : un cas intéressant est celui de la Vénus et Psyché, où il était nécessaire de décontextualiser Vénus pour s’approprier sa forme sans référence à la situation. Et pourtant c’est le moment où Cezanne s’approche le plus d’une copie exacte ! On peut penser qu’il a considéré que faire disparaître totalement Psyché était largement suffisant pour rendre impossible toute interprétation de la position de Vénus..

Cette libération du contexte permet à Cezanne de se concentrer sur l’exercice de ses moyens d’expression graphique. Concernant la ligne de contour, beaucoup de ses copies restent assez classiques, traitées avec une ligne de contour quasi continue comme à l’école, bien qu’un peu déstructurée à l’occasion, mais on sent qu’il lui suffit que la ligne soit servante du mouvement du personnage pour s’en contenter, même si au fil des copies il la libère progressivement.

En revanche, ce qui l’intéresse tout particulièrement dans la copie de dessins se révèle dans toutes sortes d’expériences quant à la façon de rendre le clair-obscur et le modelage des volumes. Dans la topographie des zones lumineuses et sombres proposée par le modèle, on oscille dans les copies depuis une grande fidélité à l’original jusqu’à un « changement d’éclairage » qui modifie cette répartition. Et dans la façon de traiter les zones sombres et de mettre en valeur les points clés des volumes, l’arsenal des procédés graphiques s’élargit au fil du temps, passe par des excès dans un sens ou un autre, pour peu à peu se cristalliser en des dessins d’une grande élégance.

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II – LES COPIES DE SCULPTURES

Nous avons mis en évidence au chapitre I l’importance numérique des copies de sculpture chez Cezanne : sur 585 copies répertoriées, 279 sont des copies de sculptures, dont 181 réalisées au Louvre, soit le tiers de l’ensemble des copies, et cela sur 65 œuvres différentes. C’est dire l’importance pour Cezanne des salles dédiées à la sculpture, dans les trois musées qui lui sont consacrés (Musée des Antiques, Musée des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance, Musée de sculpture moderne) et qu’il n’a cessé de fréquenter toute sa vie.

Nous avons observé que la première copie connue réalisée au Louvre vers 1864 était consacrée à Rubens, son peintre favori ; on n’est pas surpris de constater qu’aussitôt après, la seconde et la troisième sont des copies de Puget, le sculpteur qui l’enthousiasme le plus parmi les Modernes. Et pourtant, sous le Second Empire, il faudra attendre quatre ans avant qu’une troisième copie de Puget apparaisse vers 1868. Et ce n’est qu’après son retour de L’Estaque et avant son départ pour Auvers dans les années 1871-1872 que l’on retrouvera encore 4 copies de sculptures, l’une de l’Esclave révolté de Michel-Ange et les autres de la Vénus de Milo. On voit donc, de façon un peu surprenante, que Cezanne a mis longtemps avant de se décider à copier de façon intensive les sculptures du Louvre, alors qu’il se met beaucoup plus intensément à la copie de peintures et de dessins durant cette période.

Dans la période qui nous occupe, Cezanne va faire le tour des trois musées successivement pour réaliser ses copies.

 

1) Le musée de sculpture moderne

1) Brève visite des lieux

Le Musée de sculpture moderne est logé au rez-de-chaussée de l’aile Lemercier à droite du pavillon de l’Horloge. Dans les années 1860, c’est une enfilade de cinq salles portant chacune le nom d’un sculpteur français célèbre.

Fig. 117 — Plan des salles du musée de sculpture moderne.

On entre dans la salle Puget par la porte d’entrée du rez-de-chaussée au milieu de l’aile Lemercier :

 

 

Fig. 118 —Édouard-Denis Baldus, La Cour Carrée, Pavillon de l’Horloge, Le Louvre, Paris, 1852-1854.

Dans cette salle qui rassemble les principales œuvres de Puget, on se trouve d’emblée nez à nez avec ses trois grandes sculptures les plus célèbres, mille fois publiées en gravures et photographies : l’Hercule au repos au centre, Milon de Crotone à gauche, et Persée délivrant Andromède à droite, la première dont il fera une copie. Il en est de même, à un moindre degré des deux autres œuvres remarquables de Puget présentes dans cette salle : le bas-relief d’Alexandre et Diogène et les moulages des deux Cariatides de l’hôtel de ville de Toulon.

 

 

Fig. 119 —La salle de Puget. Vue vers 1865.

 

Fig. 120 — La salle de Puget. Vue vers 1885.

Cezanne passera beaucoup de temps dans cette salle où il réalisera pas moins de 46 copies de 8 œuvres différentes entre 1864 et 1899. Parmi elles, 3 copies de Persée délivrant Andromède, 14 de Milon de Crotone et 22 de Hercule au repos.

Sur la gauche de Milon de Crotone s’ouvre la salle de Coysevox qui poursuit la collection des sculptures du XVIIe siècle. S’y trouvent quelques-unes de ses plus belles œuvres que Cezanne copiera, comme la Vénus accroupie ou le Berger jouant de la flûte ainsi que de nombreux bustes. Y figure aussi le David de Mercié, des œuvres de Michel Anguier, Le Bernin, Desjardins, Franqueville, etc.

 

Fig. 121 – La salle de Coysevox au début du XXe siècle.

(on a ôté de nombreuses pièces présentes dans les années 1860).

Cezanne fera 22 copies de 9 œuvres différentes dans cette salle de 1877 à 1900.

Retraversant la salle de Puget, on entre alors à droite dans la salle des Coustou.

Fig. 122 — La salle des Coustou.

Cezanne fera 19 copies de 6 œuvres différentes dans cette salle entre 1873 et 1900, dont 5 de Mercure attachant sa sandale de Pigalle et 8 du Père de La Tour de Coustou.

La salle suivante est la salle de Houdon.

Fig. 123 — Salle de Houdon.

Cezanne fera 9 copies de 5 œuvres différentes dans cette salle, dont 5 de L’Amour et l’Amitié de Pigalle.

La dernière salle de ce musée est la salle Chaudet.

Fig. 124 — Salle de Chaudet.

Cezanne n’y fera qu’une copie à la fin des années 1890.

Revenons donc à la salle Puget, la seule où Cezanne réalise des copies dans la période qui nous intéresse.

2) Persée secourant Andromède, d’après Puget, 1864-66 (FWN 2095-TA — C0083)

Remarquons d’abord qu’il n’est pas indifférent que la première copie de sculpture faite par Cezanne au Louvre ait été réalisée dans le Musée des sculptures modernes plutôt que dans les deux autres musées de sculptures, vu l’état d’esprit de Cezanne cherchant à se démarquer de l’héritage classique dans ses premières années parisiennes autour de 1865.

Il n’est pas étonnant non plus qu’il se soit immédiatement arrêté dans la première des salles de ce musée, consacrée à Puget.

Il faut se souvenir que celui-ci était considéré alors comme le plus grand sculpteur français. Comme l’écrivait Théodore Pelloquet en 1856 : « Pour grand, il le fut. Personne plus que lui n’a su faire palpiter le marbre, personne n’a eu à un plus haut degré le don d’exprimer la force et le mouvement. On l’a appelé le Rubens de la sculpture ; peut-être est-il plus énergique encore que l’illustre Flamand. »[32]Théodore Pellouquet, Guide dans les musées de peinture et de sculpture du Louvre et du Luxembourg, Paris, Paulin et Le Chevalier,1856, p. 180. Même ceux qui considèrent alors qu’il abuse d’exagérations baroques dans ses mises en scène ne peuvent s’empêcher d’admirer son art : « Il manqua de science, il manqua de goût ; il ne connut et ne comprit pas les beautés de l’antique ; mais, original autant qu’irrégulier, et s’abandonnant sans contrainte aux élans de sa puissante nature, il atteignit le plus haut degré possible de mouvement, d’action et de force, quelquefois même d’expression passionnée. Nul n’a donné plus que lui de chaleur au marbre, et je dirais volontiers de couleur. Souvent, comme Michel-Ange, il attaquait un bloc sans préparation, sans dessin, sans esquisse. Au reste, Puget s’est peint naïvement, et d’un seul trait, lorsque, âgé déjà de soixante ans, il écrit au ministre Louvois, en lui adressant son groupe de Persée et Andromède : « Je suis nourri aux grands ouvrages ; je nage, quand j’y travaille, et le marbre tremble devant moi, pour grosse que soit la pièce.»[33]Louis Viardot, Les Merveilles de la sculpture, 1869, Paris, Librairie Hachette, p.278. On comprend la séduction qu’un tel tempérament pouvait exercer sur le jeune Cezanne, séduction qui ne s’est pas démentie avec les années ; comme le rappelle Gasquet dans ses souvenirs[34]Cf. I-3 ci-dessus, note 30. : « … oui, oui. Je le dis souvent, il y a du mistral dans Puget. »

Fig. 125 — Persée délivrant Andromède dans son environnement[35]La photographie montre la salle Puget après 1886. La salle que découvre Cezanne est beaucoup moins chargée en 1864, cf. le plan qui suit..

Les œuvres présentes dans la salle Puget lorsque Cezanne y pénètre en 1864 sont assez variées, comme le montre la reconstitution qui suit :

Fig. 126 – Contenu de la salle Puget entre 1863 et 1880[36]On trouvera la liste des œuvres en Annexe IX.

Pourquoi avoir choisi de commencer par la copie d’Andromède ? Quand on considère les autres œuvres présentes, c’est qu’à l’évidence elle est celle où s’applique le mieux ce que Puget disait de son travail : « Le marbre tremble devant moi ! »[37]Citation rappelée dans Charles Blanc, Grammaire historique des arts du dessin, Paris, Librairie Renouard, 1860, p. 4.. Et effectivement, le mouvement fougueux qui l’anime a tout pour lui plaire, dans sa quête de positions de corps non conventionnelles. D’emblée il n’a pu qu’être frappé par la taille colossale de cette pièce (3,20×1,06×1,14 m), et par le contraste entre la fougue de Persée, fort, audacieux, irrésistible, et la grâce presque mignonne d’Andromède, délicate et charmante[38]En 1895, Gonse écrit des réaction du public sous Louis XIV: « On trouve le Persée un peu vieux et « cotonneux », l’Andromède trop petite. Néanmoins, Louis XIV, qui s’entendait au féminin, déclara l’Andromède fort à son goût. Reconnaissons avec lui que le corps, dans sa petitesse, a des élégances exquises, que les jambes, pleines et nerveuses, sont d’un galbe charmant, et que l’épiderme a un poli fort suggestif. » Louis Gonse, La Sculpture française depuis le XIVe siècle, Paris, Librairies-Imprimeries Réunies, 1895, p. 196. — et par l’allusion humoristique à la récompense probable de cette action héroïque : l’enfant posé près des pieds d’Andromède.

C’est donc à la figure d’Andromède et à la position quasi voluptueuse de son corps abandonné dans les bras de Persée qu’il consacre cette première copie, peut-être sur carnet (20×11 cm) :

Fig. 127 à 129 — Persée délivrant Andromède de Puget (MR 2076 ; N 15353) et sa copie.

 

On ne peut pas dire que cette copie soit une réussite. Le corps de la pauvre Andromède est outrageusement déformé : elle a perdu toute la fluidité de sa ligne par le rapetissement des proportions à partir de la taille – fortement épaissie – qui fait raccourcir, remonter et plier les jambes ; les seins sont grossis et tombants bien que remontés vers le cou ; le ventre est devenu adipeux ; la pose alanguie du bras gauche se transforme en un bras étiré en longueur et subitement relevé à angle presque droit en un minuscule avant-bras après le coude. Ni le bras de l’enfant, ni la jambe de Persée ne respectent les inclinaisons de la statue. Quant au visage, même en ôtant le gribouillis du petit Paul cernant, selon Chappuis, l’œil droit d’un étrange monocle, il a perdu tout le charme de la jeunesse.

Fig. 130 à 132 — Cezanne insensible au charme du visage d’Andromède…

Pour que le corps représenté ait quelque chance de se rapprocher de ce qu’a pu observer Cezanne, il faudrait supposer qu’il s’est assis au sol pratiquement au pied de l’enfant pour faire son croquis, attitude qui ne paraît guère vraisemblable, même si, à en croire les contemporains, les musées de statues étaient fort peu fréquentés avant le milieu des années 1870. Il est donc vraisemblable que cette copie ait été faite sans s’intéresser de trop près à la forme du corps, Cezanne cherchant avant tout à repérer les puits d’ombre qui modulent non pas le corps d’Andromède (à peine sculpté au niveau du ventre par quelques traits courts appuyés et quelques petites zones de léger grisé), mais l’arrière-plan sur lequel son corps repose, comme pour le faire s’enlever plus vigoureusement du reste de la statue, à peine ébauché en ce qui concerne Persée : ces zones noires se situent sous son épaule et son aisselle droites, sous ses deux jambes et dans le trait de contour qui sépare ses cuisses. Les mêmes puits d’ombre sont rajoutés entre les deux bras de l’enfant et sous son ventre, ce qui suffit, là aussi, à lui conférer un certain relief. Ceci permet aussi d’unifier l’enfant et la femme dans un même ensemble.

On a vu qu’en peinture, Cezanne prend soin de décontextualiser ses personnages copiés en les séparant nettement du reste de la scène dont ils font partie. Ce n’est pas le cas ici : C’est qu’il est inutile de « faire semblant » de dessiner un personnage existant en lui-même, car tout le monde aura reconnu Andromède vu la renommée de ce groupe ; il ne peut y avoir de doute pour personne quant à sa provenance. D’où le fait que l’enfant est uni à la femme dans la copie et que même Persée est évoqué par sa cuisse et son bras (lequel, au passage, est fortement grossi). Peut-être y a-t-il là l’explication du dédain de Cezanne pour l’exactitude de la forme du corps, sa recherche portant en réalité sur la façon d’utiliser les puits d’ombre évoqués plus haut pour détacher le corps du fond.

Comme c’est la première copie de statue, on peut aussi penser que Cezanne cherche comment s’y prendre face à un groupe sculpté : tout copier ou un seul personnage, comme il le fait pratiquement toujours pour les peintures et dessins ? Au fil du temps, on pourra constater que chaque fois qu’il copiera un groupe, il prendra l’une ou l’autre de ces solutions, ou les deux lorsqu’il exécutera plusieurs copies[39]Copies comprenant plus d’un personnage : quelques Milon de Crotone et son lion à partir de 1867, Faune et enfant vers 1874, la copie du groupe entier de Persée et Andromède et le Centaure chevauché par l’Amour vers 1880, Diane chasseresse et sa biche vers 1884, Jeune satyre et satyresque vers 1888, Aphrodite et Eros sur un dauphinvers 1890, L’Amour et l’Amitié de Pigalle vers 1895, Loire et Loiret de van Cleve et les Trois Grâces de Pilon (deux ou trois des Grâces) vers 1896.. Ainsi, dans une quinzaine d’années, quand il copiera à nouveau Persée et Andromède, il copiera le groupe dans son entier.

 

3) Persée secourant Andromède, d’après Puget, 2e version, 1865-67 (FWN 2094-TA — C0084)

Cette copie, peut-être sur carnet (18,5×12,5 cm), doit être postérieure à la précédente, étant d’une technique plus accomplie et utilisant quelques procédés surtout mis en œuvre après 1865 : lignes de contour redoublées ou rompues, traitement des volumes par petites hachures en griffures, omission d’une partie du personnage copié :

Fig.133 à 135 — Persée délivrant Andromède de Puget (MR 2076 ; N 15353) et sa copie.et sa copie.

Cezanne s’est posé légèrement à gauche par rapport à la copie précédente, ce que l’on constate notamment à la position des jambes (comparer Fig. 139 et 135.) La superposition du profil du dessin sur la photo montre que Cezanne est beaucoup plus fidèle à l’original que sur la première copie, mais avec toujours un buste épais, un bras droit incorrectement incliné, et bizarrement une jambe droite allongée. Rendre la grâce d’Andromède n’est manifestement pas le but visé par Cezanne. Mais ici la figure est totalement détachée de son contexte, donc plus apte à devenir un modèle de la collection d’attitudes-types qui seront utilisées à partir de 1873 pour la quinzaine de baigneuses assises ou semi-debout, les bras au-dessus de la tête, plus ou moins inspirées d’Andromède (cf. par exemple FWN 980 — R856).

 

4) Milon de Crotone, d’après Puget, 1868-1869 (FWN 2220 — C0207a  et  FWN 2305 — C0543A)

Deux ou trois ans plus tard, Cezanne s’attaque maintenant à la seconde grande sculpture de la salle Puget, le groupe de Milon de Crotone, dont nous connaîtrons une seconde copie dix ans plus tard, vers 1877, suivie de 12 autres jusqu’en 1890 : c’est dire l’importance que Cezanne a accordée à cette sculpture.

C’est la première fois que nous avons affaire à une copie faite sur une très grande feuille (50×32 cm)[40]J’ai pu reconstituer en février 2021 cette feuille entière, alors connue seulement en deux fragments recouverts de nombreux croquis au verso. Le bas de la sculpture n’avait pas été identifié jusqu’alors., ce qui suppose que Cezanne a pris le temps d’installer le matériel nécessaire pour la poser, et qu’il s’est senti suffisamment tranquille pour dessiner à son aise, vu le nombre très restreint de visiteurs.

Fig. 136 et 137 — Milon de Crotone de Puget et sa copie.

Le groupe est copié en entier, mais c’est essentiellement la partie haute de la sculpture qui intéresse Cezanne, la moitié du bas de la feuille étant seulement esquissée. Cezanne s’est placé devant la sculpture en tournant le dos au mur de l’entrée où sont les fenêtres par où elle reçoit la lumière, de façon à ce qu’elle soit pleinement éclairée : il n’y a donc pas de trous d’ombre à représenter, comme sur les copies d’Andromède. Le seul que l’on remarque est celui formé sous la patte du lion par quelques rayures noires rapprochées à quoi rien ne correspond d’ailleurs sur la sculpture : le lion n’a manifestement guère d’intérêt pour Cezanne, qui le croque grossièrement de façon caricaturale. La lumière étant donc partout, le modelé se trouve réduit à trois ou quatre petites taches faites de très courtes hachures légères, les volumes étant simplement signifiés par les traits de contour. C’est donc ici plutôt la forme de Milon qui l’intéresse, avec ce corps construit en un losange projeté vers le bas et en avant pour fuir la morsure du lion, suggéré par la jambe droite, le tronc d’arbre, le bras gauche et la poitrine de Milon, mouvement auquel s’oppose la tête levée et rejetée en arrière. Une position en torsion comme Cezanne les aime…

Quelques déformations de la silhouette de Milon vont dans ce sens : pour accentuer le mouvement vers l’avant du personnage, Cezanne allonge significativement sa jambe droite et son bras gauche, de même qu’il fait peser davantage le lion sur son dos en remontant sa gueule jusqu’au niveau de l’avant-bras (faisant disparaître sa main au passage) comme pour le faire davantage basculer en avant. A quoi contribuent aussi le gonflement du haut du corps et de la tête : plus le haut d’un corps pèse, plus il a de chances de basculer en avant. Sur le plan technique, tous les traits de contour internes comme externes sont finement redoublés, accompagnant ainsi la vibration de ce corps vers l’avant.

Finalement, cette copie ne vise pas, comme on l’a vu si souvent pour les copies de dessins, à explorer ou expérimenter tel ou tel procédé graphique : il ne travaille particulièrement ni le modelé, ni la forme. Ce dessin apparaît plutôt comme une sorte de lente méditation personnelle de Cezanne se laissant réagir à la dynamique secrète animant cette sculpture, telle qu’il la perçoit en profondeur.

On ne s’étonnera pas du fait que Cezanne ne s’appesantit pas sur l’expression par son visage, tout juste esquissé, de la souffrance de Milon, lui qui refuse toute expression explicite des sentiments sur ses portraits. En cela il s’écarte radicalement du concert de louanges qui accompagne habituellement depuis le XVIIe siècle tout commentaire de cette sculpture : on souligne volontiers son caractère pathétique, après Marie-Thérèse, femme de Louis XIV, touchée de pitié pour une souffrance si énergiquement exprimée, et qui s’écria : « Ah ! le pauvre homme ! »[41]Lettre de Lebrun à Puget en date du 19 juillet 1683. Cité par Barbet de Jouy, Description des sculptures modernes, Musée impérial du Louvre, 1856, Paris, Charles de Mourgue Frères, p. 94.. Quand Cezanne dessine, il ne fait pas de psychologie.

 

2) Le Musée des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance.

Deux ou trois ans sont passés, le Second empire est tombé quand Cezanne revient au Louvre copier une nouvelle sculpture. Cette fois, c’est dans le Musée du Moyen-Âge et de la Renaissance qu’il va la trouver.

  1. Brève visite des lieux

Avant 1870, ce musée n’a pas encore atteint son plein développement et se limite essentiellement à six salles et quelques dépendances :

Fig. 138 — Plan des salles du Musée des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance vers 1865.

Ce musée comprend de très nombreux vestiges de la sculpture monumentale du passé parmi lesquels se détachent quelques rares célébrités, qui seules peuvent attirer les rares visiteurs de ces lieux assez peu fournis durant le Second Empire. Comme dans les salles des dessins, Cezanne n’y sera guère dérangé. Pour en saisir l’ambiance, promenons-nous rapidement dans les diverses salles.

L’entrée se fait immédiatement à gauche quand on est entré dans la Cour carrée par le pavillon du Pont des Arts, au milieu de la partie est de l’aile sud, directement dans un étroit vestibule plutôt sombre comportant quelques statues et bas-reliefs provenant de tombeaux des XIIIe, XIVe et XV e siècle. Cezanne ne s’y arrête pas.

A gauche du vestibule s’ouvre la salle de la Cheminée de Bruges, fermée jusqu’en 1867 au moins. Elle contient un moulage de la célèbre cheminée du Palais de justice de Bruges ornée de quelques statues que Cezanne néglige également.

Fig. 139 — La cheminée du palais de justice de Bruges, gravure de 1839.

Face à l’entrée du corridor, Cezanne pénètre dans la grande salle Jean Goujon, consacrée à de nombreuses sculptures et bas-reliefs de la Renaissance française, dont la célèbre Diane à la biche que Cezanne copiera plus tard, de même que le groupe tout aussi célèbre de Germain Pilon, les Trois Grâces :

Fig. 140 et 141— Deux vues de la salle Jean Goujon.

Cette belle salle s’ouvre à gauche face aux fenêtres sur la salle des Anguier avec quelques sculptures du début du XVIIe siècle. Cette salle contient en particulier un monument célèbre de François Anguier, le monument funéraire des Ducs de Longueville :

Fig. 142 — La salle des Anguier en 1865.

Repassant par la salle Jean Goujon, on se dirige alors vers la salle Jean de Douay, où Cezanne va s’arrêter plus longuement. En effet, cette salle consacrée à la Renaissance italienne expose quelques pièces célèbres, comme le haut-relief de bronze de Benvenuto Cellini, La Nymphe de Fontainebleau ou le Mercure et Psyché d’Adrien de Vries qui auraient pu inspirer Cezanne.

Fig. 143 et 144 — Benvenuto Cellini, La Nymphe de Fontainebleau — Adrien de Vries, Mercure et Psyché.

Mais c’est dans les deux sculptures les plus célèbres de ce musée, les deux Esclaves de Michel-Ange, que Cezanne va enfin trouver son premier sujet de copie.

Fig. 145 — La salle Jean de Douay en 1867. On aperçoit à gauche de l’entrée de la salle Jean Goujon l’Esclave copié par Cezanne et à droite le buste de Filippo Strozzi que Cezanne copiera plus tard.

 

Fig. 146 —La salle Jean de Douay remaniée et rebaptisée Salle Michel-Ange après 1874.

Les deux Esclaves sont placés de part et d’autre de la porte monumentale donnant sur la salle Michel Colombe[42]La salle Michel Colombe sera rebaptisée Salle de la Renaissance Italienne et la salle des Anguier prendra le nom de salle Michel Colombe au cours des années 1880.

Voir le buste de Filippo Strozzi près de l’Esclave de gauche.

Cezanne reviendra souvent dans cette salle où il réalisera de nombreuses copies des Esclaves et du buste de Filippo Strozzi.

La dernière salle, dite salle de Michel Colombe, rassemble quelques pièces de la Renaissance italienne. On y placera après son entrée au Louvre en 1880 le buste de Saint Jean-Baptiste par Donatello (réattribué depuis à Desiderio da Settignano) que Cezanne copiera.

Fig. 147 — La salle Michel Colombe vers 1870 (Le Mercure et Psyché d’Adrien de Vries y a été déplacé.).

Cette brève visite du Musée des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance met en évidence le peu de pièces réellement célèbres qu’il contient sous le Second Empire, ce qui explique que Cezanne se soit d’emblée focalisé sur la plus célèbre d’entre toutes, la paire d’Esclaves de Michel-Ange, quitte à revenir plus tard pour les vedettes de second rang.

 

2) La copie de Cezanne : Un Esclave, d’après Michel-Ange, 1871-1872 (FWN 2121 — C0303)

Pourquoi choisit-il cependant de privilégier d’abord l’esclave le moins connu des deux, celui qui tient ses bras derrière son dos ? Il se peut que pour lui l’attitude en torsion du personnage lui rappelle celle de Milon de Crotone, la dernière copie de statue qu’il avait faite avant la guerre, et qu’ainsi cette nouvelle copie joue le rôle de reprise d’un fil interrompu et lui serve de transition avec les copies qui vont suivre…

Fig. 148 et 149 — Des corps en torsion symétrique.

Cette torsion, on la retrouve dans la copie de Cezanne, qui mixte deux positions voisines de la sculpture :

Fig. 150 — L’Esclave de Michel-Ange et sa copie.

L’orientation de la tête, le profil de l’omoplate gauche, l’inclinaison du bras, la cuisse et le tibia avec leur ombrage à droite et la forme du genou sont proches de la photographie de droite, sans compter la position de la ligne de rappel de la pierre de support à l’arrière. En revanche, le torse et le ventre sont plus larges et la présence de la clavicule droite (inexistante sur la photographie de droite) correspondent à la photographie de gauche. La torsion du corps sur la copie est donc un peu moindre que sur l’original.

L’effet produit est de rendre le torse plus massif, ce qui lui permet d’être plus au diapason du bras monstrueux que Cezanne confère à l’esclave : la copie semble s’être concentrée sur cet appendice pour en exagérer les masses musculaires de façon quelque peu violente. Sur le plan anatomique, ce bras est raté avec son rattachement à une clavicule qui passe sous le cou, mais l’exagération même de ses volumes et les zones d’ombrages par frottis et lignes de contour redoublées concentrées sur lui et sous son coude contribuent à exprimer le caractère massif, voire brutal du personnage. Aussi, de façon humoristique, par contraste Cezanne lui ajoute une ébauche de visage quasi souriant et serein, presque féminin (bien entendu, la ressemblance du visage avec celui de son modèle ne l’intéresse absolument pas : il ne prend même pas la peine de dessiner ses boucles.) Façon aussi de se tenir à distance de toute lecture psychologique du personnage copié : pas question de faire ressortir sa condition d’esclave souffrant, propre à émouvoir les âmes sensibles, avides d’interprétation du sens de la sculpture plus que des caractéristiques de sa forme…

Il est intéressant de noter que l’absence de la jambe droite permet de concentrer l’attention sur la partie gauche du corps où se rassemble toute l’énergie de ce corps, dans le pectoral puissant, le bras musculeux, le pli de l’aine (débarrassé de la lanière qui maintient le cache-sexe) mais aussi dans la hanche et la cuisse élargies par rapport à la sculpture.

Par ce dessin, Cezanne renoue donc avec ses expérimentations antérieures pour faire ressortir dans les corps nus leur dynamique intérieure, quasi animale. Il est intéressant de constater qu’il l’a fait sur une feuille de grand format (47,7 x 32 cm), ce qui montre qu’il a pris le temps de s’installer avant de commencer à crayonner cette première copie de retour au Louvre, finalement très expressive et en tout cas révélatrice de ce qu’il recherche dans la multiplication des copies de corps nus : cerner toujours plus, comme de l’intérieur, leur réalité charnelle la plus immédiate.

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3) Le musée des Antiques

Pour finir son tour des trois musées, parallèlement à ses visites au Musée des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance, Cezanne décide de commencer à copier également une sculpture du musée des Antiques.

1) Brève visite des lieux

La collection des marbres antiques de la Grèce et de Rome forme, après celle des peintures, la partie la plus populaire du Louvre, universellement connue pour ses vedettes incontestées que sont la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo. Le musée se tient au rez-de-chaussée, et l’on y accède jusqu’à la fin de notre période par le pavillon de l’Horloge au bas de l’escalier Henri II. Les salles des Antiques sont assez nombreuses ; les plus fréquentées sont celles de l’aile Lescot et de la partie ouest de l’aile du pavillon des Arts ; en revanche, toute la partie située sous la Galerie d’Apollon, appelée Petite Galerie est restée fermée jusqu’en 1867 ; elle attire moins de visiteurs.

Fig. 151 — Plan du musée des Antiques.

La visite du musée s’organise autour de quatre grands ensembles : la grande salle des Cariatides, la galerie allant du Corridor de Pan à la Vénus de Milo, la galerie parallèle de la Melpomène jusqu’à la salle du Tibre, et la Petite galerie depuis la Rotonde jusqu’à la salle des Antonins, avec ses deux appendices à chaque extrémité, la salle de Diane et celle d’Auguste.

La salle des Cariatides ouvre le ban, salle monumentale, décorée par Jean Goujon, chargée d’histoire[43]En quelques mots : antichambre des appartements de Catherine de Médicis, on y célébra le mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois et on y exposa son corps après l’attentat de Ravaillac, on y pendit des huguenots pendant la Ligue, Jean Goujon y fut tué pendant la nuit de la Saint Barthélémy, Molière y joua la comédie en présence du roi, l’Institut y tint ses réunions, etc.. On y trouve de nombreuses statues célèbres, comme Jupiter vainqueur des Géants, l’Éphèbe grec, dit Jason, le Vase Borghèse, le Bacchus Richelieu, etc. Elle attire les touristes par le phénomène acoustique produit par les deux vasques placées à chacune de ses extrémités (on entend très distinctement sur l’une les mots prononcés sur l’autre).

Fig. 152 — La salle des Cariatides – Vue vers le nord, sur la tribune et les cariatides de Jean Goujon.

 

Fig. 153 — La salle des Cariatides – Vue vers le sud.

Au fond, après les colonnes, la petite salle de l’Hermaphrodite et la porte donnant accès au Corridor de Pan.

Cezanne y reviendra souvent pour y copier 6 œuvres entre 1875 et la fin des années 1890.

On accède ensuite au Corridor de Pan où est exposé le Tireur d’épine que Cezanne copiera dans la première moitié des années 1880.

Fig. 154 — Dromart, Le Corridor de Pan. Vue vers l’ouest. RF1945-28

Au bout du corridor de Pan en direction de l’est s’ouvre une longue galerie faite de salles largement ouvertes les unes sur les autres ; à son extrémité trône la Vénus de Milo. C’est d’abord la salle de la Médée avec la très fine statue d’Hygie :

Fig. 155 — Salle de la Médée et corridor de Pan, vue vers l’ouest (Clarac).

Puis la salle d’Hercule[44]La salle d’Hercule et celle de l’Hermaphrodite s’échangeront leurs places après 1870. et celle du sarcophage d’Adonis précèdent la salle de la Psyché, alignant leurs sculptures, dont certaines parmi les plus renommées, comme Satyre et satyresque, l’Amour Farnèse, la Vénus marine, le Satyre dansant, etc., en une haie d’honneur en faveur de la reine incontestée du musée, la Vénus de Milo :

Fig. 156 — La galerie de la Vénus de Milo. vue vers l’est depuis la salle de la Médée.

Passant maintenant du côté de la Seine, c’est la statue géante de Melpomène qui commande à la galerie symétrique de la précédente avec ses deux grandes salles en enfilade, celle de la Pallas de Velletri et celle du Gladiateur ou Héros combattant. S’y alignent également quelques sculptures célèbres, comme le Génie de l’Éternel sommeil et l’Apollon Sauroctone, l’Atalante, le Marsyas pendu et le Gladiateur Borghèse. Ici aussi, Cezanne viendra copier plusieurs statues après 1875.

Fig. 157 — Salle de la Pallas de Velletri, au fond salle de la Melpomène. Vue vers l’est.

 

Fig. 158 – Salle du Héros combattant et galerie de la Melpomène. Vue vers l’est.

Au bout de la galerie de la Melpomène s’ouvre enfin la grande salle du Tibre où se trouvent quelques morceaux également célèbres, comme la Diane chasseresse, la Vénus accroupie de Vienne ou le Tibre colossal. Ici aussi, Cezanne fera quelques copies.

Fig. 159 et 160 — La Salle du Tibre en 1830 et vers 1870[45]Joseph Warlencourt, Vue de la salle du Tibre au Louvre, RF 2003 7. La Vénus de Milo en occupait encore le centre en 1830..

A la sortie de cette salle et après être repassés par le Corridor de Pan nous prenons à gauche pour quitter l’ancien Louvre et nous orienter vers les salles de la Petite Galerie. Autant l’ambiance des salles de la première partie du musée que nous quittons se révèle assez spartiate, voire peu attirante avec ses murs nus et ses plafonds voûtés, autant cette seconde partie se caractérise par un décor de peintures et de stucs d’une grande richesse, ces salles ayant été autrefois les appartements d’Anne d’Autriche.

Nous passons d’abord dans la salle de passage entre les ailes de l’ancien et du nouveau Louvre, la salle de Diane (ou « salle grecque », une fois la Diane déplacée dans la salle du Tibre – mais aussi dans le Salon carré au début des années 1860 — elle a beaucoup voyagé dans le Louvre) au plafond richement décoré par Prud’hon (Diane implorant Jupiter de ne pas l’assujettir aux lois de l’hymen). Cette salle est parfois appelée le « Salon carré de la sculpture antique » car s’y trouvent des sculptures de l’art grec de la meilleure époque, dont des fragments du Parthénon et du temple de Zeus à Olympie.

Fig. 161 et 162 — Le plafond de la salle de Diane – Vue ancienne de la salle (Clarac)

Nous arrivons maintenant à l’entrée de la Petite Galerie par la Rotonde de Mars, où trône l’Arès Borghese, gardien impavide du troupeau des statues qui peuplent la Petite Galerie, véritable incarnation de la force tranquille. Comme la Vénus de Milo et la Melpomène veillant sur leurs galeries respectives, il est une des trois figures cardinales autour desquelles s’organise le musée. Il séduira tellement Cezanne qu’il en fera de multiples copies durant les décennies 1880 et 1890.

Fig. 163 et 164— La rotonde de Mars. Photo de gauche, vue vers l’est et la salle de Diane. Au fond, on aperçoit la Vénus de Milo au bout de sa galerie.
Photo de droite, vue vers le sud, la salle de Mécène ouvrant l’enfilade de la Petite Galerie.

La salle de Mécène, ancien salon de la reine (première salle visible sur la Fig. 164) contient quelques statues colossales et se poursuit par la salle des Saisons (grand cabinet de la reine) avec plusieurs bustes d’empereurs romains et la Venus Genitrix.

Fig. 165 et 166 — La salle des Saisons et son plafond illustrant le mythe d’Apollon.

Puis vient la petite salle de la Paix entouré de huit colonnes provenant d’Aix-la-Chapelle, avant de pénétrer dans les trois dernières salles consacrées à la sculpture romaine : la salle de Septime Sévère, celle des Antonins et enfin, tournant à droite, la grande salle d’Auguste.

Fig. 167 – Etienne Joseph Bouhot, La salle de la Paix au Louvre.
Vue vers l’est, perpendiculairement à la Petite Galerie.

 

La salle de Septime Sévère (ancien grand cabinet de la reine) contient plusieurs bustes d’empereurs que Cezanne copiera, notamment celui de Caracalla.

Fig. 168 et 169 — La salle de Septime Sévère (vue vers le nord et la salle de la Paix) et son plafond.

La salle des Antonins (ancienne chambre et cabinet de travail de la reine) termine la Petite Galerie avec notamment une statue colossale de Marc Aurèle et divers bustes d’empereurs.

Fig. 170 — La salle des Antonins, vue vers le nord de la Petite Galerie. A l’extrémité sud de cette salle,
se trouve la fenêtre d’où Charles IX était censé avoir fait feu sur les huguenots la nuit de la Saint-Barthélemy.

Cette salle avait abrité le Laocoon acheté par Napoléon et rendu après 1815…

Fig. 171 — Hubert Robert – La salle du Laocoon vue du nord au sud, depuis la salle des Romains.

Nous quittons la Petite Galerie par la droite pour pénétrer dans la salle d’Auguste, où l’on trouve le célèbre Orateur romain que Cezanne copiera et dont il s’inspirera à de multiples occasions.

Fig. 172 — La salle d’Auguste.

Sous Napoléon, cette salle avait abrité l’Apollon du Belvédère, rendu lui aussi après la défaite de 1815.

Fig. 173 — Hubert Robert – La salle de l’Apollon du Belvédère.

Cette salle clôt en beauté notre périple à travers le musée des Antiques tel que Cezanne a pu l’arpenter, et où il a réalisé 70 copies, s’arrêtant pratiquement dans chaque salle. Avec le temps, on constatera une certaine tendance à passer davantage de la partie du vieux Louvre avec ses décors minimalistes et ses éclairages parfois limités à celle où domine la Petite Galerie aux décors somptueux et à la lumière plus généreuse avec ses plafonds surélevés et riches de couleurs éclatantes.

Nous pouvons maintenant, ayant humé l’air que l’on respire dans ce musée des statues antiques, mieux appréhender les copies que Cezanne y produira, sachant que dans la période qui nous occupe il se met en jambes, en quelque sorte, en attaquant par trois fois le même sujet : la Vénus de Milo. Ce n’est qu’après son retour d’Auvers en mars 1874 qu’il y dessinera les 67 autres copies que nous connaissons.

2) Vénus de Milo, d’après l’antique, 1871-1872 (FWN 3008-47a — C0308)

Pour sa première copie de statue antique, Cezanne ne s’embarrasse pas de questions de choix : il s’attaque immédiatement à la sculpture la plus célèbre et la plus révérée de ce musée, la Vénus de Milo[46]La petite galerie des Antiques située sous la galerie d’Apollon est restée fermée au public jusqu’à la fin de l’années 1871, de même que le musée des dessins(cf. Le Figaro, 29 octobre 1871 – communiqué par Th. Reff), ce qui a pu contribuer à limiter le nombre de copies d’antiques avant le départ à Auvers .. En matière de copies de sculptures, ce sera donc la quatrième « vache sacrée » du Louvre qu’il vient assiéger, après Persée délivrant Andromède et Milon de Crotone chez les Modernes et l’Esclave de Michel-Ange dans le musée de la Renaissance.

La Vénus de Milo, il la connaît bien depuis le musée d’Aix qui en possédait une copie :

Fig. 174 — La Vénus de Milo au Musée Granet.

Dans un premier temps, Cezanne ne se place pas face à la statue, comme tous les visiteurs, mais s’installe de biais à sa droite de façon à la croquer de trois quarts :

Fig. 175 — Cezanne près de la Vénus de Milo.

 

Fig. 176 et 177 – Première copie de la Vénus de Milo.

Sur le plan de la forme, on retrouve ici la tendance à faire grossir les jeunes filles déjà observée pour Andromède : Vénus a pris du ventre, son bassin s’est élargi, ses seins sont remontés vers le cou. Le sein droit est dégagé de l’ombre du bras, ce qui ne serait exact que si Cezanne se plaçait davantage face à la statue. Le volume des draperies s’est également amplifié, bien que l’essentiel des plis du vêtement soit rendu globalement fidèlement, avec ce qu’il faut d’indications d’ombres (noter l’usage du puits d’ombre au centre de la draperie) pour donner suffisamment de volume, donc de stabilité au corps qui en émerge. Cezanne se contente une nouvelle fois de mettre en place l’essentiel pour se concentrer sur ce qui l’intéresse : la partie du corps visible de Vénus et le parti qu’il veut en tirer.

Faire exister ce corps : Cezanne s’y emploie d’abord en augmentant son volume et en le tassant un peu. La réduction de la taille relative de la tête par rapport au tronc y contribue également. Ce n’est donc plus un corps idéalisé qu’il nous présente, mais une femme bien en chair, massivement incarnée.

Ensuite, il la pose fermement dans l’espace en l’appuyant sur toute sa partie droite (à gauche du dessin) sur un trait noir épais courant le long du flanc, de l’épaule à la hanche (un procédé neuf par rapport à ses dessins antérieurs). Ce trait noir est séparé de la vraie ligne de contour du corps (finement tracée à sa gauche d’un trait continu) par une zone grisée qui atténue son caractère artificiel ; et à sa droite il se double d’une zone sombre faite depuis la taille jusqu’au bras de hachures orientées de bas en haut et de gauche à droite, comme toutes celles utilisées ailleurs dans cette figure (sur l’épaule, le long du flanc gauche, sous le sein droit). Cette orientation se retrouve dans toutes les parties de la figure : dans les plis principaux du vêtement en arcs de cercle ascendants, dans la ligne des seins (le sein gauche de Vénus est plus élevé que le droit sur le dessin par rapport à la sculpture), dans le cou légèrement penché vers l’avant, le regard accompagnant cette tension de tout le corps vers la droite. La ligne de contour du corps à droite doublée d’un trait fin, renforcée sur les hanches et le sein gauche, se fait plus légère sur l’épaule et le visage pour accompagner la dynamique de ce corps projeté vers le haut et l’avant.

Point de modelé subtil ni de dessin épuré dans cette copie donc, mais un désir de faire ressentir l’énergie latente qui s’apprête à projeter ce corps vigoureux vers l’avant, là où la Vénus de Milo originelle se contente d’exister statiquement là où elle est posée. La Vénus de Cezanne est bien la sœur jumelle de l’Esclave révolté…

 

3) Vénus de Milo, d’après l’antique, 1871-1872 (FWN 3008-38a— C0307)

Sur le même carnet de dessin, Cezanne revient copier la Vénus, mais il se place cette fois devant elle :

Fig. 178 et 179 — La Vénus de Milo et sa copie : l’amplification du socle.

 

Le corps de Vénus est tracé beaucoup plus souplement que sur la copie précédente ; on y retrouve le même évasement au niveau des hanches (cf. l’espace sous le nombril jusqu’au vêtement) et le même épaississement de la taille, accompagné ici d’un relèvement de l’épaule droite. L’ombrage principal se trouve maintenant sur son flanc gauche, des hanches au visage. Mais le flanc droit est également souligné d’un fort trait noir redoublé au niveau des hanches. avec un léger ombrage sous le moignon pour faire ressortir la figure de l’arrière-fond sans pour autant l’en détacher fortement. Mais ces soulignements latéraux implantent solidement le tronc dans l’espace. Cependant la ligne de contour de l’épaule droite est redoublée et interrompue en son milieu, ce qui introduit, en parallèle au trait noir redoublé sur les hanches, une vibration du tronc vers la droite de la figure.

Le modelé est également davantage travaillé que sur la précédente copie, bien que peu poussé dans l’ensemble, avec un usage de très fins grisés autour du cou et sur l’épaule droite, et le même système de hachures orientées de gauche à droite vers le haut.

Tout ceci concourt à ce que le corps de Vénus soit comme soulevé dans cette direction, l’élargissement du bassin ayant permis d’accentuer dans ce sens la ligne de la hanche droite qui donne son impulsion à toute la figure par sa sinuosité et trouve son écho dans le rehaussement de l’épaule gauche. Mais ce mouvement est contenu par l’orientation contraire de la tête penchée vers le bas (cf. la pointe des bandeaux sur le front et les yeux baissés – noter que pour une fois la tête est traitée avec un certain soin), ce qui évite de donner à cette impulsion ascendante du tronc un aspect outré.

Cet accent mis sur ce mouvement secret animant ce corps est également servi par la façon dont le socle est traité : on a l’impression de deux dessins accolés aux techniques différentes. Ici, plus de sinuosités, mais des segments de droite indiquant les directions générales des plis du vêtement, une ligne de contour peu accentuée, la partie droite suffisamment renforcée pour suggérer le relief, sans plus. Le modelé est réduit à sa plus simple expression par quelques taches noires triangulaires et pratiquement pas de hachures. Tout ceci lui confère une sorte de légèreté par rapport au corps, mais sans qu’il perde en solidité pour le supporter, d’une part par son élargissement semblable à celui des hanches, d’autre part par la rigidité de la technique des traits droits qui s’opposent aux traits arrondis et sinueux du corps lui-même. Il y a là une expérimentation très intéressante de cohabitation de deux systèmes de représentations utilisés généralement indépendamment l’un de l’autre. Avec le temps, Cezanne privilégiera de plus en plus le second, qui trouvera son apogée dans les dernières copies de bustes traités essentiellement par « bouclettes ».

Finalement, dans cette seconde copie, Cezanne poursuit sa méditation sur la façon de faire ressortir la dynamique implicite d’un corps en surgissement. Loin de l’attitude un peu statique et lointaine de la Vénus de Milo, celle de Cezanne s’incarne dans un visage avenant et des chairs vivantes, ondulantes, simplement emplies de la joie de vivre, du bonheur d’exister,

 

4) Vénus de Milo, d’après l’antique, 1871-1872 (FWN 3003-41b — C0306)

Finalement, reprenant sa position à gauche de la statue et renonçant à représenter le socle duquel s’évade le corps, Cezanne se concentre sur celui-ci :

Fig. 180 et 181—La Vénus de Milo et sa copie (Photographie Balthus).

Contrairement aux deux premières copies, Cezanne amincit maintenant la taille et les hanches de Vénus tout en descendant son vêtement vers le pubis et en diminuant le volume de ses seins. La silhouette s’allonge ainsi, d’autant plus que l’épaule et le sein gauches sont à nouveau relevés. Tout ceci apparaît clairement si l’on superpose les deux contours :

Fig. 182 et 183 — Superposition des profils, après mise en coïncidence du nombril et de la pointe du sein droit.

Cezanne diminue la taille de la tête pour mettre en valeur le torse. Pour éviter que cela apparaisse comme peu cohérent avec la taille du reste du corps, il détourne notre attention en donnant à cette tête une expression suffisamment précise pour que l’on s’y attache — ce qui explique que pour une fois il dessine réellement les traits et les contours du visage (comparer avec la tête sur la première copie de Vénus, et même avec la seconde pourtant déjà bien traitée).

Tout cela contribue à suggérer un corps se cambrant vers l’arrière, l’oblique accentué de la ligne des épaules suggérant un léger mouvement de recul entraînant cette torsion. Au lieu de la femme sûre d’elle-même et sans états d’âme, on est en présence d’une jeune fille hésitante, se laissant traverser par un mouvement de retrait inconscient face à une menace ; mais le visage et la bouche disent au contraire que peut-être cette menace n’en est pas une, voire qu’elle pourrait être intéressante : comment ne pas penser à la réaction d’une jeune fille confrontée au désir masculin qui se dévoile devant elle ?

Noter aussi, au service de cette attitude hésitante, l’usage d’une ligne de contour ondulante accentuant creux et bosses sur la hanche droite, et se redoublant sur l’épaule gauche comme pour accompagner son mouvement de retrait. Techniquement, ce dessin sert parfaitement l’intention sous-jacente : exprimer dans un corps le conflit entre deux mouvements contradictoires, l’un de retrait et de protection, l’autre d’intérêt pour ce qui, malgré tout, effraie un peu.

C’est donc par ce dessin plein de subtilité que se termine cette première série de copies de sculptures au Louvre jusqu’en 1872, au moment du départ à Auvers qui marque un nouveau départ pour le peintre.

 

4) Conclusion

On l’a constaté : Cezanne n’est pas curieux de nouveautés. Il ne copie que les sculptures les plus illustres, le plus souvent connues de lui depuis sa jeunesse par les moulages du musée Granet.

Copier des statues, c’est certes à l’occasion enrichir sa collection de formes archétypales réutilisables ailleurs dans son œuvre (Andromède), mais ce n’est qu’anecdotique : la grande majorité des attitudes suggérées par les modèles qu’il copie ne seront pas réutilisées par la suite (Milon de Crotone, Vénus de Milo). L’essentiel est ailleurs.

Par les subtiles modifications des attitudes de ses modèles, il s’écarte en réalité de leur dynamique propre pour explorer de multiples façons pour les corps d’être au monde. Il tente d’insuffler au corps qu’il recrée une impulsion venant de l’intérieur, qu’elle soit simple torsion musculaire née de la souffrance (Milon de Crotone), affirmation d’une puissance brute, quasi animale (Esclave révolté), affirmation d’un élan vital, d’un simple bonheur d’exister, reflet d’un conflit interne entre la peur et le désir (Vénus de Milo), tout cela exprimé avec une retenue qui rend le dessin d’autant plus convaincant qu’il évite tout sensationnalisme expressionniste.

On ne s’étonne pas que pour oser de telles recherches, il choisisse de partir de modèles consacrés, gages d’une vérité initiale qu’il va pouvoir ensuite faire évoluer dans le sens désiré. Pour pénétrer les ressorts secrets d’un corps, autant prendre pour base de départ ceux que les plus grands ont su faire surgir du néant : Puget le maître du mouvement avec son Milon de Crotone, Michel-Ange le maître de la puissance avec son Esclave révolté, et ce maître inconnu de l’expression de la beauté absolue, disciple de Lysippe, qui a su faire venir au monde au point précis de la plus haute perfection la Vénus de Milo.

Le Louvre se révèle alors bien plus qu’une collection de chefs d’œuvres, mais comme un formidable incubateur pour une conscience artistique qui s’éveille au mystère des choses. Comment imaginer par exemple que Cezanne ait été insensible au dialogue invisible et éternel que renouent à travers les siècles le couple fondateur d’Éros et d’Aphrodite, la Puissance de la vie embrassant la Beauté, alors qu’ils constituent les deux pôles magnétiques de l’immense galerie dont ils gardent les deux extrémités, comme on l’a vu, et où circule d’une travée à l’autre, d’une statue à l’autre, le désir et l’énergie orgasmique du vivant, celle même qu’il sent s’épanouir en lui-même à leur contact et dont son acte créateur devient la manifestation originale !

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Références

Références
1 « Chaque dessin exposé dans les galeries a été décollé et remonté uniformément, suivant un modèle qui varie en raison de l’effet particulier à chaque maître ou à chaque ouvrage, sans rien enlever à l’unité qui convient à une grande collection. » Nieuwerkerke, op. cit.
2 Ces salles, appelées salles des Boîtes, contenaient dans des boîtes hermétiquement fermées des dessins parmi les plus précieux d’écoles diverses pouvant s’altérer à la lumière. Elles étaient ouvertes et visibles du 1er avril au ler octobre, le samedi, de 2 heures à 5 heures, et du ler octobre au ler avril le même jour, de 2 heures à 4 heures. Cf Nieuwerkerke, op. cit. : « Les dessins ont été classés dans les salles, autant que possible, par ordre chronologique. On a retiré de l’exposition ceux que la lumière menaçait d’anéantir ; cette mesure nous permettra de conserver ce qui reste encore d’un grand nombre d’ouvrages de ce genre, soit lavés ou exécutés à la plume, qui depuis plus de vingt ans se trouvaient en pleine lumière ou même en plein soleil. Quelques-uns des plus précieux sont maintenant placés dans des boîtes hermétiquement fermées, que l’on ouvre seulement un jour par semaine et pendant deux heures. Elles contiennent d’inestimables dessins de Raphaël, Léonard, Pérugin, Michel-Ange, Titien, Albert Durer, Jules Romain, Claude Lorrain, etc., dessins qui proviennent de l’ancienne collection ou d’acquisitions récentes. De cette façon tout danger de destruction a disparu. Les dessins se conservent et néanmoins le public peut en jouir sans difficulté. —Car ma première pensée sera toujours de concilier ces deux termes du problème d’une bonne direction : prendre le plus grand soin des ouvrages d’art, et faire aux amateurs, aux artistes, au grand public désireux de s’instruire, la part la plus large qu’il soit permis de leur faire sans péril pour les œuvres, objet de leur admiration et de leurs études. »
3 « Le peu de temps que nous donnons à notre promenade dans le Louvre, ne nous permet pas d’examiner en détail les œuvres si intéressantes accumulées dans cette longue suite de salles. » Pierre Marcy, Guide populaire du Louvre, Paris, Librairie du Petit Journal, 1867.
4 Cf. Liste complète des dessins en Annexe .
5 Mantegna, Le Jugement de Salomon, 46,6×37, INV 5068.
Lorenzo Monaco, Les Trois Marie au tombeau, 45,8×48 cm, RF 830.
Simone Martini (Maître de Sant’Eugenio), L’Annonciation, 17×15,9 cm, INV 1313.
Lorenzo di Credi (réattr. Lorenzo Sciarpelloni), Étude de draperie pour la figure de saint Barthélemy, 38,9×27 cm, INV 1791.
6 Signorelli, Deux hommes nus luttant, et deux femmes nues luttant,29,6×37,4 cm, INV 1794.
Signorelli, Un saint debout – saint Joseph (?), 39,1×35,2 cm, 1795.B.
Signorelli, Un saint moine debout – saint François (?), 38,8×19,5 cm, INV 1795.A.
Signorelli, Homme debout, drapé, les mains jointes sur la poitrine – saint ou apôtre (?), 46,5×25,5 cm, INV 1796.
Signorelli, Homme nu, de dos, bras joints au-dessus de la tète ; repris en haut à droite,41,2×25,3 cm, INV 1797.
Signorelli, Sainte drapée, debout, tenant un vase de la main droite – sainte Madeleine ?, 35,1×21,3 cm, INV 1798.
Signorelli, Homme nu entourant les épaules d’un autre homme avec son bras gauche, 41,2×26,6 cm, INV 1799.
Signorelli, Crucifixion, 51×83,3cm, INV 1800.
Signorelli, Homme nu, debout, de dos, portant sur ses épaules un corps inerte, 35,5×22,5 cm, INV 347.
7 Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans le sac tenu par sa servante, 31×23,5 cm, MI 916.
Lorenzo di Credi, Tête de vieillard, 13×10,5 cm, INV 1784.E.
Le Pérugin, Tête de la Vierge, vue de face, 25×18,7 cm, INV 4370.
Le Pérugin (réattr. Lo Spagna), Tête d’homme chauve, de trois quarts, à droite, 18×12,2 cm, INV 4375.
8 Le Pérugin, Etude d’une tête de la Vierge, 28×17,7 cm, INV 4364.
Le Pérugin, Saint Jérôme, debout, 31×15,9 cm, MI 915.
Pisanello, Deux aigles héraldiques, 23,5×17, 2INV 2485.
Pisanello, Mulet harnaché, de profil vers la gauche, 18,8×24,9 cm, INV 2380. La tête en sera copiée par Cezanne vers 1880.
Il existe aussi dans cette salle cinq grand cartons de Lebrun et 4 grands cartons de Mignard.
9 Rappelons que ce carnet comporte 72 pages et 276 dessins, dont 36 (sur 7 pages) sont des copies d’œuvres du Louvre.
10 Le dernier dessin de baigneur C0419 est le premier de la période post-Napoléon III : cela montre que pendant trois ans, entre 1869 et 1873, Cezanne a abandonné cette recherche, qu’il ne reprendra désormais que sous la forme d’une exploration des positions possibles de baigneurs.
11 La chalcographie ne possédait pas de gravure de ce dessin, mais la vente après décès de la collection de Charles Le Blanc chez Drouot en mai 1866 comprenait un exemplaire de cette gravure, n° 139 du catalogue, ce qui prouve qu’elle existait en 1866 et qu’on pouvait l’acquérir. Chappuis parle également d’une photographie présente dans l’atelier, ce que confirme Théodore Reff qui parle également de la présence d’une gravure. Mais comme on ne sait pas à quelle date Cezanne a acquis ces documents, il demeure pour moi beaucoup plus vraisemblable qu’il a exécuté sa copie directement sur l’original : une mise au carré de toutes façons n’aurait pas donné les déformations observées sur la copie.
12 Cezanne n’a pu le connaître dans Charles Blanc, car l’école florentine, où figure une (médiocre) reproduction de ce dessin, ne paraît qu’en 1883 (École florentine, Luca Signorelli, p. 1).
13 Cf. note précédente. Dans la vente précitée, la reproduction portait le n° 141. Chappuis indique également la présence d’une photographie de ce dessin dans l’atelier.
14 Les dessins sont repérés par leur n° Reiset, celui qui a cours du temps de Cezanne. Voir leur identification dans les notes suivantes ; le nom de l’auteur figure en premier, éventuellement suivi d’une parenthèse indiquant la réattribution étant intervenue postérieurement à la mort de Cezanne. Le n° 383 sera copié seulement vers 1880.
15 Giulio Romano (réattr. Pagni Benedetto), Une ville incendiée, 3,5×5,75 m  INV3532, Reiset 262. Carton placé au-dessus des autres dessins. Cezanne en copie un personnage.
Raphaël, Le Christ debout, 23,3×13,4 cm, INV3854, Reiset 314.
Vinci. Portrait d’Isabelle d’Este (1499-1500), 61 cm × 46,5 cm, MI 735, Reiset 390.
Vinci, Buste de femme, 27,5×22 cm, INV 2575, Reiset 396.
Raphaël, Sainte Catherine d’Alexandrie, 58,7×43,6 cm,  INV 3871, Reiset 323.
16 Sebastiano del Piombo, La Visitation, 38×23,6 cm, INV 505, Reiset 235.
Fra Bartolomeo, Christ mort de profil vers la droite, 15,5×22,6 cm, INV 1672.D, Reiset 53. Copié par Cezanne.
Andrea del Sarto, Tètes de femmes coiffées d’un turban et vues de trois quarts, 13,2X11 CM, INV 1716 et 1716.BIS, Reiset 51.
17 Vinci, Tête d’enfant de trois quarts à droite,16,9×14 cm,  INV 2347 Reiset 383bis.
Raphaël, Psyché présentant à Vénus l’eau du Styx ou Psyché présentant à Vénus le cadeau de Proserpine, 26,5×19,7 cm   INV 3875, Reiset 327.
Vinci (réattr. Boltraffio), Tête d’enfant, 12×10, INV 2250, Reiset 383.
Ces trois dessins seront copiés par Cezanne.
18 Raphaël, La Vierge à l’Enfant assise, de trois quarts ; tête de vieil homme, 22,3×15,4 cm, INV3861, Reiset 316.
Anonyme Italien début XVIè, Évêque debout, tenant sa crosse et lisant, 23×13,7 cm, INV 9873, Coll. Baldinucci, Reiset 449. Copié par Cezanne.
Vinci, Draperie pour une figure agenouillée, 18x23cm, INV 2256, Reiset 389.
Polidoro da Caravaggio, Un trophée avec un casque, une cuirasse, deux boucliers et deux vases, 23,6×34 cm, INV 6105, Reiset 1546.
Raphaël, Femme debout, de profil, le visage de face, un bras levé – Le Commerce, 26×13,2 cm, INV 3877, Reiset 328.
Raphaël, Tête de vieil homme, études d’un cou, de cinq mains et homme drapé debout,41,3×27,8 cm, INV 3869, Reiset 322.
19 Vinci, Tête d’homme âgé, 94×61 cm, INV 2249, Reiset 385.
Michel-Ange, Le Christ en croix, 23×13,5 cm, INV 739. BIS, Reiset 120.
Vinci, Tête de jeune homme aux cheveux bouclés, de trois quarts vers la droite, 15×12,5 cm, INV 2557, Reiset 386.
20 Vinci (réattr. Sciarpelloni Lorenzo), Tête d’homme chauve, de trois quarts, à droite, 16×14,2 cm, INV 2518, Reiset 392.
Michel-Ange, La Résurrection du Christ,15,5×17 cm, INV 691.BIS, Reiset 112. Copié par Cezanne.
Raphaël, Étude pour la Grande Sainte Famille de François Ier, 17,3×11,9 cm, INV 3862, Reiset 317.
21 Les deux études de mains et la tête de moine situées sur le dessin de Fra Bartolomeo sont d’Andrea del Sarto.
22 Raphaël, Psyché présentant à Vénus l’eau du Styx ou Psyché présentant à Vénus le cadeau de Proserpine, 26,5×19,7 cm, INV 3875, Reiset 327.
23 Ceci d’autant plus que, dans les musées de peinture et de dessin du Louvre, ce sera la seule copie dessinée de femme nue comme sujet principal réalisée avant 1870 (Bethsabée est une copie peinte). Dans les musées de sculpture, on trouvera cependant deux copies d’Andromède en 1864-67 et trois Vénus de Milo en 71-72 (voir plus bas). Rappelons qu’avant 1861 et son arrivée à Paris, on ne connaît de toutes façons qu’une copie de femme nue réalisée au musée Granet à partir du moulage en plâtre FWN2071 — C0074.
24 Michel-Ange, Le Christ en croix avec la Vierge et saint Jean, 43,5×29 cm, INV 700, Reiset 120.
25 Michel-Ange, La Résurrection du Christ,15,5×17 cm, INV 691.BIS, Reiset 112.
26 Baigneurs, caryatide, 1883-1886 (FWN 3008-50b — C0631c) et la copie Étude de jambes, d’après Signorelli, 1884-1886 (FWN 3003-52b — C0674
27 Le Caravage (réattr. Anonyme italien), Deux prisonniers assis courbant la tête et attachés à un trophée d’armes, XVIe siècle, 12×13,1 cm, INV 6087, présent à la chalcographie.
Le Brun, Alexandre et Porus, 50,5×83,5 cm, INV 27666, dessin préparatoire au grand tableau du même nom, INV 2897 que Cezanne a pu également voir dans les galeries françaises.
28 Ou encore à FWN 2213, complément des copies de modèles assyriens de FWN 2214 — C0140 dont on trouve également une tête sur 3017-10a — C0139d, notre carnet habituel au Louvre. Cf. Annexe VI du chapitre VI.
29 Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), p. 27.
30 Eugène Delacroix, L’Éducation d’Achille, 24 x 30,5 cm, entré au Louvre en 1878, MI 1079, Both de Tauzia n° 1719.
31 L’exception qui confirme la règle : un cas intéressant est celui de la Vénus et Psyché, où il était nécessaire de décontextualiser Vénus pour s’approprier sa forme sans référence à la situation. Et pourtant c’est le moment où Cezanne s’approche le plus d’une copie exacte ! On peut penser qu’il a considéré que faire disparaître totalement Psyché était largement suffisant pour rendre impossible toute interprétation de la position de Vénus.
32 Théodore Pellouquet, Guide dans les musées de peinture et de sculpture du Louvre et du Luxembourg, Paris, Paulin et Le Chevalier,1856, p. 180.
33 Louis Viardot, Les Merveilles de la sculpture, 1869, Paris, Librairie Hachette, p.278.
34 Cf. I-3 ci-dessus, note 30.
35 La photographie montre la salle Puget après 1886. La salle que découvre Cezanne est beaucoup moins chargée en 1864, cf. le plan qui suit.
36 On trouvera la liste des œuvres en Annexe IX
37 Citation rappelée dans Charles Blanc, Grammaire historique des arts du dessin, Paris, Librairie Renouard, 1860, p. 4.
38 En 1895, Gonse écrit des réaction du public sous Louis XIV: « On trouve le Persée un peu vieux et « cotonneux », l’Andromède trop petite. Néanmoins, Louis XIV, qui s’entendait au féminin, déclara l’Andromède fort à son goût. Reconnaissons avec lui que le corps, dans sa petitesse, a des élégances exquises, que les jambes, pleines et nerveuses, sont d’un galbe charmant, et que l’épiderme a un poli fort suggestif. » Louis Gonse, La Sculpture française depuis le XIVe siècle, Paris, Librairies-Imprimeries Réunies, 1895, p. 196.
39 Copies comprenant plus d’un personnage : quelques Milon de Crotone et son lion à partir de 1867, Faune et enfant vers 1874, la copie du groupe entier de Persée et Andromède et le Centaure chevauché par l’Amour vers 1880, Diane chasseresse et sa biche vers 1884, Jeune satyre et satyresque vers 1888, Aphrodite et Eros sur un dauphinvers 1890, L’Amour et l’Amitié de Pigalle vers 1895, Loire et Loiret de van Cleve et les Trois Grâces de Pilon (deux ou trois des Grâces) vers 1896.
40 J’ai pu reconstituer en février 2021 cette feuille entière, alors connue seulement en deux fragments recouverts de nombreux croquis au verso. Le bas de la sculpture n’avait pas été identifié jusqu’alors.
41 Lettre de Lebrun à Puget en date du 19 juillet 1683. Cité par Barbet de Jouy, Description des sculptures modernes, Musée impérial du Louvre, 1856, Paris, Charles de Mourgue Frères, p. 94.
42 La salle Michel Colombe sera rebaptisée Salle de la Renaissance Italienne et la salle des Anguier prendra le nom de salle Michel Colombe au cours des années 1880
43 En quelques mots : antichambre des appartements de Catherine de Médicis, on y célébra le mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois et on y exposa son corps après l’attentat de Ravaillac, on y pendit des huguenots pendant la Ligue, Jean Goujon y fut tué pendant la nuit de la Saint Barthélémy, Molière y joua la comédie en présence du roi, l’Institut y tint ses réunions, etc.
44 La salle d’Hercule et celle de l’Hermaphrodite s’échangeront leurs places après 1870.
45 Joseph Warlencourt, Vue de la salle du Tibre au Louvre, RF 2003 7. La Vénus de Milo en occupait encore le centre en 1830.
46 La petite galerie des Antiques située sous la galerie d’Apollon est restée fermée au public jusqu’à la fin de l’années 1871, de même que le musée des dessins(cf. Le Figaro, 29 octobre 1871 – communiqué par Th. Reff), ce qui a pu contribuer à limiter le nombre de copies d’antiques avant le départ à Auvers .